L'hérétique
ils
risquaient de tout perdre. Certains auraient peut-être même laissé entendre que
messire Guillaume cherchait à mettre la main sur la totalité de la rançon. À
n’en pas douter, Robbie aurait encouragé toute cette agitation. Finalement, la
garnison se serait divisée. C’était de toute façon ce qui risquait d’arriver
puisque, sans Thomas, il n’y avait plus de raison valable de rester, et les
hommes le savaient. On ne leur avait jamais dit que le véritable objet de leur
mission était la quête du Graal. Mais ils avaient senti que Thomas était
préoccupé, qu’il poursuivait une grande cause et que tout ce qu’ils faisaient
avait un sens. Aujourd’hui, le vieux guerrier en était pleinement conscient,
cette cause avait disparu : ils n’étaient plus qu’une bande de routiers
tout juste assez bonne et chanceuse pour tenir un château misérable. Aucun
d’eux ne resterait longtemps. Et même si Robbie ne lui réglait pas sa part de
la rançon, songea le Normand, il allait pouvoir repartir beaucoup plus riche
qu’il n’était arrivé. En revanche, si l’Écossais tenait son serment, il aurait
alors assez d’argent pour lever les hommes dont il avait besoin pour prendre sa
revanche sur ceux qui avaient volé ses terres de Normandie.
— Je veux que l’argent de la rançon soit ici avant une
semaine, somma-t-il.
— Deux, contra Joscelyn.
— Une semaine !
— Je vais essayer, répondit le comte avec un brin de
désinvolture.
Messire Guillaume poussa cette fois le crucifix dans sa
direction.
— Une semaine !
Joscelyn fixa le Normand un long moment, puis il plaça un
simple doigt sur le corps du Christ souffrant.
— Si vous insistez… Une semaine !
Le nouveau comte de Bérat partit le lendemain matin. Il
avait revêtu son armure complète pour chevaucher. Sa bannière, ses chevaux et
ses hommes d’armes lui avaient été restitués. Comme convenu, Robbie Douglas
l’accompagnait, et avec lui seize autres soldats de la garnison de Castillon,
tous des Gascons qui avaient servi Thomas mais qui maintenant préféraient l’or
de Bérat. Messire Guillaume demeura avec les hommes qui avaient pris la petite
ville, ce qui voulait au moins dire qu’il avait tous les archers avec lui. Il
monta sur le plus haut rempart du château pour regarder Joscelyn s’éloigner.
John Faircloth, le vieux fantassin anglais, vint l’y rejoindre.
— Il nous quitte ? demanda-t-il en parlant de
Robbie.
— Oui. Nous ne le reverrons pas, estima Guillaume.
— Alors que faisons-nous ? demanda l’autre.
Le Britannique était passé au français pour poser sa
question.
— On attend l’argent et on s’en va.
— On s’en va ? C’est tout ?
— Par Dieu, que pouvons-nous faire d’autre ? Cette
ville n’intéresse pas le comte de Northampton, John. Il n’enverra jamais
personne pour nous aider. Si nous restons ici, nous allons tous mourir.
— Mais que nous partions ou que nous mourions, ce sera
sans le Graal ? s’étonna Faircloth. N’est-ce pas pour ça qu’il nous a
envoyés ici ? Il était bien au courant pour le Graal, non ?
Encore une fois, le Normand acquiesça de la tête.
— Regarde-nous ! s’esclaffa-t-il. Nous sommes les
chevaliers de la Table ronde…
— Et pourtant, nous abandonnons la quête ?
— C’est une folie, s’entendit reconnaître messire
Guillaume à contrecœur. Une maudite folie. Il n’existe pas. Thomas, lui,
pensait qu’il pouvait exister, et le comte de son côté estimait que cette
simple hypothèse méritait qu’on lui consacre un petit effort. Mais c’est une
pure absurdité, un rêve de fous. Même Robbie s’est laissé embarqué aujourd’hui
dans cette démence, seulement il ne le trouvera pas, parce que ce n’est pas ici
qu’il est. Ici, il n’y a que nous et beaucoup trop d’ennemis. Nous allons donc
prendre notre argent et nous allons rentrer chez nous.
— Et s’ils n’envoient pas l’argent ? demanda
Faircloth.
— C’est une question d’honneur, non ? Tu sais bien
que nous pouvons piller, voler, violer et tuer, mais jamais nous ne trompons
quelqu’un sur une question de rançon. Doux Jésus ! Personne ne pourrait
plus jamais croire qui que ce soit si cela arrivait !
Il s’interrompit pour contempler Joscelyn et sa suite qui
s’étaient arrêtés à l’autre extrémité de la vallée.
— Regarde-moi ces bâtards ! Ils se demandent comment
ils vont nous débusquer d’ici.
De
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