L'hérétique
fait, les cavaliers jetaient un dernier regard vers la
tour de Castillon d’Arbizon. Joscelyn voyait l’impudent étendard du comte de
Northampton onduler dans la petite brise. Fulminant, il cracha sur la route.
— Est-ce que tu vas vraiment leur envoyer
l’argent ? demanda-t-il à Robbie.
Ce dernier parut surpris par la question.
— Naturellement.
Dès qu’il aurait reçu le montant de la rançon négociée,
l’honneur voulait qu’il remette sa part à messire Guillaume. L’idée d’agir
autrement ne lui avait jamais traversé l’esprit.
— Mais regarde, ils brandissent le drapeau de mon
ennemi ! tempêta le nouveau comte. Alors, si tu leur fais parvenir
l’argent, qu’est-ce qui m’empêchera d’aller le récupérer ?
Il se tourna vers l’Écossais dans l’attente d’une réponse.
Robbie essayait d’envisager toutes les conséquences de la
suggestion de Joscelyn. Il réfléchissait surtout aux incidences qu’elle pouvait
avoir sur son honneur, mais tant que l’argent de la rançon était bien envoyé,
se disait-il, celui-ci était sauf.
— Ils n’ont pas réclamé de trêve, indiqua-t-il sans
enthousiasme.
C’était la réponse que le nouveau seigneur de Bérat
attendait, parce qu’elle laissait entendre que Robbie était bien de son côté et
qu’il pourrait entamer la reconquête de Castillon dès que l’argent aurait été
versé.
Joscelyn sourit et lança son cheval.
Grâce à une allure soutenue, ils atteignirent Bérat le soir
même. Un homme d’armes avait chevauché en avant et prévenu la ville de
l’approche de son nouveau maître. Une délégation de consuls et de prêtres vint
à la rencontre de Joscelyn à un kilomètre de la porte orientale. Ils
s’agenouillèrent pour le saluer et les prêtres présentèrent au comte certaines
des plus précieuses reliques de la cathédrale. Il y avait là un barreau de
l’échelle de Jacob, les arêtes de l’un des poissons qui avaient servi à nourrir
les cinq mille fidèles du Christ dans le désert, la sandale de sainte Gudule et
un clou qui avait crucifié l’un des deux larrons morts avec le Sauveur. Toutes
avaient été données à la ville par le défunt comte. Maintenant, on s’attendait
à ce que son successeur mette pied à terre et rende l’hommage requis aux saints
objets, tous enchâssés dans de l’argent, de l’or ou du cristal. Joscelyn savait
parfaitement ce que l’on exigeait de lui, mais au lieu de cela il s’appuya sur
le pommeau de sa selle et lança des regards noirs aux prêtres.
— Où est l’évêque ? gronda-t-il.
— Il est malade, Seigneur.
— Trop malade pour m’accueillir ?
— Il est très malade, Seigneur, vraiment très malade,
dit l’un des prêtres.
Joscelyn fixa l’homme un instant, puis, brusquement, accepta
l’explication et mit pied à terre. Il s’agenouilla brièvement devant les
reliques. Les consuls s’étaient approchés en présentant les clés cérémonielles
de la ville sur un coussin vert. Le nouveau maître de Bérat était censé prendre
les clés avant de les rendre avec un mot aimable. Mais il avait faim et soif,
aussi il remonta en selle, éperonna sa monture et passa sans un regard devant
les consuls agenouillés.
Le cortège pénétra dans la ville par la porte occidentale où
les gardes s’agenouillèrent à leur tour au passage de leur nouveau seigneur.
Puis Joscelyn et ses hommes gagnèrent le col reliant les deux éminences sur
lesquelles Bérat était bâtie. À leur gauche maintenant, sur la colline la plus
basse, se dressait la cathédrale, une longue église trapue qui n’avait ni
clocher ni flèche. Sur leur droite, une rue pavée montait vers le château au
sommet de la ville. Les larges enseignes chatoyantes suspendues devant les
maisons de la petite artère obligeaient les cavaliers à chevaucher sur une
seule file. De chaque côté de la rue, les habitants s’agenouillaient au passage
de leur comte et lui demandaient de les bénir. Une femme répandait des feuilles
de vigne sur les pavés tandis qu’un tavernier offrait un plateau chargé de
chopines de vin que le cheval de Joscelyn renversa.
La rue débouchait sur la place du marché, qui était toujours
sale à cause des légumes écrasés et empestait les excréments de vaches, de
moutons et de chèvres. Le château se découpait maintenant juste devant eux. Ses
portes s’ouvrirent dès que les gardes reconnurent la bannière de Bérat brandie
par l’écuyer
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