L'hérétique
du nouveau maître des lieux.
Puis tout se bouscula pour Robbie. Son cheval fut emmené par
un serviteur et on lui attribua une chambre dans la tour est, avec un feu et un
lit. Plus tard ce même soir, il assista à une fête tapageuse à laquelle la
comtesse douairière avait été conviée. Elle apparut à l’Écossais comme une
petite jeune femme bien en chair mais jolie. À la fin de la fête, Joscelyn
l’attrapa par le poignet et l’entraîna vers sa nouvelle chambre, l’appartement
même de son prédécesseur. Juste avant de disparaître, le colosse invita ses
hommes à continuer les festivités et notamment à ne pas hésiter à faire une
grande flambée des centaines d’ouvrages qui encombraient les rayonnages. Après
son départ, Robbie demeura un moment dans la grande salle où les hommes d’armes
déshabillèrent trois servantes avant d’abuser d’elles chacun à leur tour.
D’autres, répondant à l’invitation de leur maître, attrapaient de pleines
poignées de vieux parchemins sur les bibliothèques de l’ancien comte et les
jetaient dans le brasier. De grandes flammes claires redoublaient de puissance.
Messire Henri Courtois observait sans un mot. Bientôt, il finit par être aussi
saoul que Robbie.
Le lendemain matin, le reste des rayonnages fut vidé. On
jeta les livres par la fenêtre dans la cour du château, où un nouveau feu avait
été allumé. Les bibliothèques furent mises en pièces et suivirent le chemin des
ouvrages et des parchemins de la fenêtre jusqu’au brasier. D’excellente humeur,
Joscelyn supervisait le « nettoyage » de la grande salle et,
simultanément, recevait des visiteurs. Certains avaient été les serviteurs de
son oncle : des chasseurs, des armuriers, des cellériers et autres
archivistes défilaient pour rendre hommage au nouveau comte et s’assurer de la
pérennité de leur emploi. Des petits seigneurs du domaine de Bérat accouraient aussi
pour lui jurer fidélité. Ils devaient pour cela placer leurs mains entre celles
de Joscelyn et prêter serment d’allégeance avant de recevoir le baiser du comte
qui faisait d’eux ses vassaux. Quelques requérants venaient réclamer justice
pour quelque obscur litige. Et il y avait les habituels créanciers découragés à
qui l’oncle devait de l’argent et qui espéraient que le neveu s’acquitterait
des dettes de son parent. Une dizaine de prêtres de la ville se présentèrent
également : ils venaient demander de l’argent afin de dire des messes pour
le repos de l’âme du défunt. À leur tour, les consuls de Bérat gravirent les
marches dans leurs robes rouge et bleu : eux voulaient que les taxes
incombant à la ville soient diminuées. Et au milieu de cette cohue, Joscelyn ne
cessait de hurler à ses hommes de brûler encore d’autres livres, de jeter plus
de parchemins dans les flammes. Un jeune moine énervé vint protester qu’il
n’avait pas encore fini d’examiner tous les titres de Bérat. Joscelyn chassa
l’archiviste à grands coups de pied et c’est ainsi, en le poursuivant, hilare,
qu’il découvrit le repaire du religieux rempli d’autres documents. Tous furent
brûlés sous les yeux du frère en larmes.
Dans la cour, un immense tas de parchemins flambait
maintenant. De grandes flammes montaient vers le ciel et des flammèches
incandescentes s’envolaient dans toutes les directions, au risque d’embraser
les toits de chaume des écuries du château. Ce fut le moment que choisit
l’évêque – qui n’avait pas l’air du tout malade – pour apparaître. Il
était accompagné d’une dizaine d’ecclésiastiques et de Michel, l’écuyer du
comte défunt.
L’évêque martela le pavé de son bâton pour attirer
l’attention de Joscelyn. Quand le nouveau maître des lieux daigna remarquer sa
présence, le prélat pointa sa crosse vers lui. Le silence s’imposa rapidement
dans la cour. Les présents sentaient que quelque chose de particulier allait se
passer. Joscelyn fronça les sourcils. La lueur rougeoyante du brasier sur son
visage rond rendait son expression encore plus agressive.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il au prélat qui,
selon lui, n’avait pas témoigné d’assez de déférence.
— Je veux savoir comment votre oncle est mort.
Joscelyn fit quelques pas vers la délégation. Le son de ses
bottes résonnait contre les murs du château. Il y avait au moins une centaine
d’hommes dans la cour. Beaucoup firent le signe de croix. Ils
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