L'hérétique
de la bande.
Mais, somme toute, très peu étaient victimes d’étrangers, de tiers
n’appartenant pas au groupe.
Le vieux comte de Bérat avait toléré la bande de Destral
tant qu’ils n’avaient pas causé de grands dommages. Le défunt considérait qu’envoyer
des hommes d’armes ratisser des montagnes parcourues de ravines et pleines de
grottes où les cachettes se comptaient par milliers serait un pur gaspillage
d’argent. En revanche, il avait positionné des garnisons partout où des
richesses significatives étaient susceptibles d’attirer les coredors et
il s’assurait que les chariots transportant les taxes prélevées dans ses villes
voyageassent sous bonne garde. Quand les marchands devaient sortir des grands
axes, ils veillaient à se déplacer en convoi et à engager spécialement des
soldats pour l’occasion. Les coredors pouvaient pratiquement
s’approprier sans crainte tout le reste, mais parfois il leur fallait tout de
même combattre, le plus souvent parce que des compagnies de routiers
s’aventuraient sur leur territoire.
Dans les faits, ces derniers différaient peu des coredors, à cette nuance près – importante – que les premiers
étaient mieux organisés. C’étaient des soldats sans engagement, armés et
expérimentés. De temps en temps – contrairement aux coredors, qui
n’auraient jamais fait une telle chose –, ils allaient jusqu’à prendre une
ville, la mettre à sac, l’occuper jusqu’à ce qu’elle soit complètement
exsangue, et alors ils repartaient. Peu de seigneurs étaient désireux de se
frotter à ces soldats aguerris, constituant de petites armées violentes et
dépravées qui se battaient avec le fanatisme propre à ceux qui n’ont rien à
perdre. Leurs déprédations cessaient quand une guerre éclatait, car les
seigneurs offraient de l’argent pour engager des soldats. Les routiers
prêtaient un nouveau serment, partaient en guerre et combattaient jusqu’à la
trêve suivante. Puis tout recommençait : comme ils ne connaissaient pas
d’autre commerce que le massacre, ils repartaient vers les coins les plus
reculés des campagnes et se trouvaient de nouvelles villes à dévaster.
Destral détestait les routiers. En réalité, il haïssait les
soldats en général, car ils étaient les ennemis naturels des coredors. Il
se faisait une règle de les éviter, mais, quand ses propres hommes avaient une
supériorité numérique importante sur un groupe de routiers, il n’hésitait pas à
les laisser l’attaquer. Quand ils étaient vaincus, les soldats représentaient
un avantage certain : ils étaient une excellente source d’armes, d’armures
et de chevaux.
Ainsi, un soir, alors que les fumées du village et du
lazaret en flammes assombrissaient le ciel au-dessus d’Astarac, il permit à
l’un de ses lieutenants de conduire une attaque sur une demi-douzaine d’hommes
d’armes à cape noire qui s’était égarés en lisière de la forêt. Cette
initiative fut une erreur cuisante. Les soldats repérés n’étaient pas seuls. Il
y en avait d’autres, qui attendaient juste à l’extérieur du bois. Les sombres
frondaisons se mirent en un instant à retentir des bruits de sabots et du chuintement
des épées quittant leurs fourreaux.
Destral ignorait ce qui se passait à la lisière de la forêt.
Avec la majeure partie de sa bande, il se trouvait beaucoup plus loin, au cœur
du bois. Là se dressait, au-dessus des chênes, une falaise calcaire et un petit
torrent descendait des montagnes. Deux grottes percées dans l’à-pic offraient
un parfait refuge.
C’était là qu’il avait envisagé de passer l’hiver, assez
haut dans les collines pour y trouver une protection, mais assez près aussi de
la vallée pour que ses hommes pussent aisément lancer des raids sur les
villages et les fermes alentour.
En début de soirée, on y avait amené les deux fugitifs
d’Astarac. Le couple avait été capturé sur la crête et traîné jusqu’à la
clairière au pied des grottes. Destral avait fait préparer des feux, mais
n’entendait pas les allumer avant d’être sûr que le cas des soldats était
réglé.
Maintenant, dans le crépuscule, il voyait ses hommes lui
rapporter un butin d’une valeur supérieure à tout ce dont il avait pu rêver, car
l’un des deux captifs était un archer anglais, et l’autre une femme. Les femmes
étaient toujours rares chez les coredors. Elle aurait son utilité, mais
l’Anglais avait une plus
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