L'hérétique
les cavaliers s’étaient rapprochés, le fugitif constatait que
certains d’entre eux portaient des arbalètes.
— Nous sommes en sécurité pour le moment, dit-il à
Geneviève quand il la rejoignit dans la ravine où elle s’était réfugiée.
Il dut admettre qu’il s’était précipité dans la nasse que
son cousin lui avait tendue. Mais plus ils s’éloignaient, plus les mailles du
filet s’élargissaient et plus il leur serait facile de passer à travers. Il leur
fallait simplement attendre jusqu’au lendemain matin : le soleil plongeait
déjà derrière les nuages rosissant à l’occident.
Avec son oreille d’archer aguerri, Thomas se mit à l’écoute
des bruits des bois. Il ne perçut rien d’alarmant, seulement les grattements de
pattes d’oiseaux sur l’écorce, les battements d’ailes d’un pigeon et le soupir
du vent. Les cavaliers noirs étaient partis vers le couchant, mais à l’est, en
bas dans la vallée, les traces de leur passage étaient bien visibles. Quelques
soldats se trouvaient encore du côté d’Astarac. Ils avaient mis le feu au
lazaret. La fumée obscurcissait le ciel au-dessus du monastère. Ils avaient
aussi incendié ce qui restait du village, en se disant que les flammes feraient
sortir d’éventuels fuyards qui s’y seraient cachés. Tournant ses yeux vers le
château, Thomas constata que de nombreuses silhouettes arpentaient les ruines.
Il se demanda ce que ces gens faisaient là, mais il se trouvait beaucoup trop
loin pour s’en faire une idée.
— Nous devons manger, dit-il à Geneviève.
— Nous n’avons rien.
— Alors, nous allons chercher des champignons et des
noisettes. Et nous avons besoin d’eau.
Un peu plus au sud, ils dénichèrent un minuscule ruisselet.
Le filet d’eau s’écoulait le long d’un rocher. Ils durent coller leurs visages
contre la pierre pour se désaltérer.
Puis Thomas fit un lit de fougères dans la ravine du
ruisseau. Une fois ces préparatifs achevés, il considéra qu’ils seraient en
sécurité pour la nuit. L’esprit tranquille, il put laisser Geneviève et partir
en quête de nourriture. Il avait emporté son arc et une demi-douzaine de
flèches passées dans sa ceinture. Il ne comptait pas s’en servir pour se
défendre, mais pour débusquer un cerf ou un verrat. Dans l’humus, il dénicha
des champignons. Mais ils étaient tout petits, avec des veinures noires. Comme
il n’était pas certain qu’ils ne soient pas vénéneux, il les laissa.
Prudemment, sans cesse aux aguets, il poursuivit sa recherche, en quête de
noisettes ou de gibier.
Même quand il rampait, il s’efforçait de garder toujours un
œil sur la crête. Un bruit le fit pivoter. Il crut voir un cerf, mais avec la
nuit qui tombait et les ombres qui s’allongeaient, il ne pouvait en être
certain. Quoi qu’il en soit, il posa une flèche sur la corde de son arc et se
glissa en rampant vers l’endroit où il avait aperçu le mouvement fugitif.
C’était la saison du rut et les cerfs devaient arpenter les bois en quête de
congénères à affronter. Même s’il parvenait à en tuer un, il savait qu’il ne
pourrait pas prendre le risque d’allumer un feu pour cuire la viande. Mais il
avait déjà mangé du foie cru, et ce serait quand même un festin. Soudain, à
quelques mètres, il aperçut les bois de l’animal. Il se déplaça latéralement,
doucement, silencieusement, à demi tapi, pour essayer d’entrevoir le corps du
cervidé. À cet instant, la corde d’une arbalète claqua et le carreau passa tout
près de Thomas en sifflant pour aller se ficher dans le tronc d’un arbre. Le
cerf décampa à grands bonds alors que l’archer pivotait sur lui-même, l’arc bandé.
Alors, partout autour de lui, il vit surgir des hommes
armés.
Il s’était jeté tête la première dans un piège.
Il était pris.
TROISIÈME PARTIE
Les ténèbres
9
La fouille du monastère n’avait rien livré d’autre que le
cadavre de l’abbé Planchard. Quand Guy Vexille avait « appris » la
mort du vieil homme, il s’était empressé de l’attribuer haut et fort à son
cousin en fuite.
Il avait alors organisé celle minutieuse de tous les
bâtiments. Puis, pour s’assurer qu’aucun fugitif ne pourrait se cacher dans le
village ou le lazaret, il avait ordonné qu’on y mette le feu.
Cependant, malgré tous ses efforts, le couple était resté
introuvable. L’Harlequin fut contraint d’admettre que sa proie avait filé.
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