L'hérétique
droits les pavois
tandis qu’ils graviraient le tas de ruines barrant l’entrée de la forteresse.
— Le Christ est notre compagnon ! lança-t-il à ses
hommes. Dieu est avec nous. Nous ne pouvons perdre !
Les seuls sons qu’ils percevaient étaient les cris des
femmes et des enfants dans la ville, les frottements des pavois et le
claquement métallique des pieds cuirassés sur les pavés.
Guy Vexille pencha légèrement de côté l’un des lourds
panneaux de bois et découvrit devant lui la barricade de fortune qui barrait la
cour. Il vit surtout les archers rassemblés au sommet des marches conduisant au
donjon.
Une corde claqua et l’Harlequin se hâta de refermer l’échancrure
entre les boucliers. La flèche se ficha dans le pavois avec une force telle
qu’il fut repoussé en arrière. Vexille fut surpris par la puissance de l’impact
et plus stupéfait encore quand, levant les yeux, il constata que la tête de la
flèche saillait du pavois. La pointe ressortait d’une bonne largeur de main,
alors que le bouclier faisait bien le double de l’épaisseur d’un écu ordinaire.
Dans les secondes qui suivirent, d’autres flèches se plantèrent
dans le bois. Les impacts produisaient un son de battement de tambour
irrégulier et ébranlaient les lourds pavois. Blessé à la joue par une flèche
qui avait traversé les couches de bois, un homme proféra un juron. Guy dut
calmer l’ardeur de ses hommes.
— Restez groupés ! leur ordonna-t-il.
Ralentissez ! Dès qu’on aura passé la porte, on avance droit sur la
barricade. On peut la mettre à terre. Ensuite, le premier rang chargera les
marches. Gardez les pavois levés jusqu’à ce qu’on atteigne les archers !
Son propre bouclier heurta une pierre et il leva la grande
poignée de bois pour faire passer le panneau au-dessus de ce petit obstacle.
Instantanément, une flèche se planta dans les gravats, manquant son pied de
peu.
— Restez fermes, dit-il à ses hommes. Restez
fermes ! Dieu est avec nous !
Frappé simultanément par deux flèches, le pavois bascula en
arrière. Vexille parvint à le redresser et refit un pas en avant.
Ils avaient maintenant atteint les éboulis encombrant la
porte effondrée et commençaient à les gravir. La progression devint plus ardue.
Ils ne pouvaient plus déplacer leurs pavois que par saccades, franchissant par
à-coups les débris irréguliers et résistant à la puissance des flèches qui
continuaient de leur pleuvoir dessus.
Apparemment, il n’y avait aucun archer sur les remparts du
donjon, car aucun trait ne tombait du ciel. Les flèches ne venaient que de face
et échouaient irrémédiablement sur l’infranchissable barrière de pavois.
— Restez groupés, répéta Guy à ses hommes. Restez
groupés et ayez confiance en Dieu !
À cet instant, tapis jusque-là derrière les vestiges du mur
d’enceinte à droite de la porte, les hommes d’armes de messire Guillaume
lancèrent leur cri de guerre et chargèrent.
Du haut des remparts, le Normand avait vu les assaillants se
retrancher derrière les pavois et il avait deviné que ces grands panneaux
aveugleraient leur progression. Il avait donc fait abattre une extrémité de la
barricade et avait mené dix hommes dans un coin de la cour, juste derrière le
mur d’enceinte, à l’endroit où se trouvait le tas de fumier des écuries.
Dès que les hommes de Guy Vexille surgirent de l’arche
meurtrie, messire Guillaume lança son attaque. Il reproduisait exactement la
tactique mise en œuvre avec efficacité lors de l’attaque de Joscelyn.
Seulement, cette fois, l’ordre était de charger, de tuer et de blesser, et de
se retirer immédiatement.
Pour être sûr d’être compris, il avait plusieurs fois répété
ce plan à ses hommes tandis qu’ils attendaient. « Brisez le mur de pavois,
leur avait-il dit, et ensuite retirez-vous vers le trou dans la barricade pour
laisser les archers continuer le massacre. »
Pendant un court instant, tout sembla se dérouler
parfaitement. La charge surprit les assaillants, qui vacillèrent et refluèrent
en désordre. Un homme d’armes anglais, un soudard brutal qui n’aimait rien
d’autre que le combat, fendit le crâne d’un ennemi d’un coup de hache tandis
que messire Guillaume plantait son épée dans l’aine d’un autre.
Instinctivement, les hommes tenant les pavois se tournèrent vers la menace,
entraînant dans le mouvement leurs grands boucliers et ouvrant par là
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