L'hérétique
air de
profond étonnement sur le visage. Puis un second jet de sang inonda les
oreilles de son cheval. L’homme suffoqua et tomba lourdement sur le sol.
Quand Thomas arriva près de lui, le prêtre était déjà mort.
— Je t’avais dit qu’il partirait le premier en
enfer ! triompha Geneviève avant de cracher sur le cadavre.
À côté d’elle, son compagnon fit le signe de croix.
La victoire, facile, aurait dû ramener la gaieté. Au lieu de
quoi, la vieille humeur maussade revint hanter la garnison de Castillon
d’Arbizon. Le combat s’était parfaitement bien passé, mais la mort du
dominicain avait horrifié les hommes de Thomas. La plupart d’entre eux étaient
des pécheurs non repentis. Certains avaient même eux aussi tué des prêtres en
d’autres occasions. Mais tous étaient superstitieux et la mort du moine fut
perçue comme un mauvais présage. Le père Roubert s’était présenté sans armes.
Il venait parlementer, mais il avait été abattu comme un chien. Il s’était bien
trouvé quelques hommes pour applaudir Geneviève. C’était une femme, une vraie,
disaient-ils, une femme à soldats, et l’Église pouvait être damnée pour tout ce
qu’elle faisait. Mais ils n’étaient qu’une petite minorité. La plupart des
membres de la garnison se rappelaient les ultimes paroles du prêtre. Il avait
maudit leurs âmes pour s’être rendus coupable de protéger une hérétique, et ces
terribles menaces avaient fait remonter à la surface les angoisses qui avaient
été les leurs quand Thomas avait décidé d’épargner la condamnée. Robbie était
naturellement de ceux-là, et il ne cessait de rappeler qu’ils seraient menacés
de damnation tant qu’ils hébergeraient une créature maudite condamnée par
l’Église.
Lorsque Thomas lui demandait quand il envisageait de partir
pour Bologne, l’Écossais éludait la question : « Je reste ici,
répondait-il, jusqu’à ce que je sache quelle rançon je vais obtenir. Je ne veux
pas m’éloigner de mon argent. »
Disant cela, il pointait le pouce vers Joscelyn. Celui-ci
avait parfaitement repéré les antagonismes au sein de la garnison et il faisait
de son mieux pour les attiser en prédisant la survenue de choses terribles si
l’hérétique n’était pas brûlée. Pour renforcer sa position, il refusait de
manger à la même table que Geneviève. Sa qualité nobiliaire lui ouvrait droit
au meilleur traitement que le château pouvait offrir. Il dormait dans une
chambre particulière au sommet du donjon, mais, plutôt que de manger dans la
grande salle, il préférait prendre ses repas avec Robbie et les hommes d’armes.
Il les envoûtait avec le récit de ses tournois et les effrayait en les mettant
en garde contre les choses terribles qui arrivaient à tous ceux qui
protégeaient les ennemis de l’Église.
Thomas offrit à Robbie presque tout l’argent qu’il avait en
coffre en avance sur sa part de la rançon de Joscelyn. Le montant final serait
ajusté quand cette rançon serait négociée. Mais l’Écossais refusa.
— Tu risques de me devoir beaucoup plus, estima-t-il,
et comment puis-je avoir la certitude que tu me paieras mon dû ? Comment
sauras-tu d’ailleurs où je me trouve ?
— Je l’enverrai à ta famille, promit Thomas. Tu me fais
confiance, non ?
— L’Église ne te fait pas confiance, alors pourquoi
devrais-je le faire ? fut la cuisante réponse de son ancien ami.
Messire Guillaume essaya d’apaiser la tension. Mais il savait
que la garnison était en train de se diviser. Une nuit, une bagarre éclata dans
la salle basse, entre les partisans de Robbie et ceux qui défendaient
Geneviève. Au bout du compte, un Anglais demeura raide mort sur le carreau et
un coup de dague coûta son œil à un Gascon. Guillaume d’Evecque corrigea comme
il fallait les coupables, mais cette rixe n’était que la première, il n’en
doutait pas.
— Que comptes-tu faire ? demanda-t-il à Thomas,
une semaine après le combat au bord du Gers.
Un vent du nord soufflait un froid glacial. Les hommes
disaient que ce vent les engourdissait et les rendait irritables. Guillaume et
Thomas se trouvaient sur les remparts du donjon. La bannière décolorée du comte
de Northampton flottait au-dessus de leurs têtes. Sous cet étendard rouge et
vert pendait le léopard orange de Bérat, mais sens dessus dessous pour montrer
au monde que la flamme avait été capturée au combat. Geneviève était là,
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