L'hérétique
elle
aussi. Sentant que les propos de messire Guillaume ne lui feraient pas plaisir,
elle s’était toutefois éloignée dans le coin le plus opposé du rempart.
— Je vais attendre ici, dit Thomas.
— Parce que tu crois toujours que ton cousin va
venir ?
— C’est pour ça que je suis là.
— Mais suppose qu’il ne te reste plus un seul
homme ?
Pendant un moment, Thomas resta silencieux. Finalement, il
rompit le silence.
— Même toi ?
— Je suis avec toi, aussi fou que tu sois. Mais si ton
cousin arrive, il ne sera pas seul.
— Je le sais.
— Et il ne sera pas aussi idiot que Joscelyn. Il ne te
laissera pas la victoire.
— Je le sais, répéta Thomas d’une voix faible.
— Il te faut davantage d’hommes. Ici nous avons une
garnison, alors que nous avons besoin d’une petite armée.
— Ce serait mieux, admit l’autre.
— Mais personne ne viendra tant qu’elle sera là,
le mit en garde le Normand en regardant Geneviève. Trois Gascons sont partis,
hier.
Les trois hommes d’armes n’avaient même pas attendu leur
part de la rançon de Joscelyn. Ils avaient simplement filé à cheval vers
l’ouest pour se trouver un autre engagement.
— Je ne veux pas de lâches ici ! s’emporta
l’archer.
— Oh, ne sois pas si stupide ! gronda son
compagnon. Tes soldats sont prêts à combattre d’autres hommes. Mais pas
l’Église. Ils ne combattront pas Dieu.
Le borgne marqua une pause. Thomas vit qu’il avait du mal à
exprimer ce qu’il avait en tête. Mais il se lança :
— Tu dois la chasser, Thomas. Elle doit partir.
L’archer, silencieux, fixait les contreforts des montagnes
au sud.
— Elle doit partir, répéta messire Guillaume. Envoie-la
à Pau. À Bordeaux. N’importe où. Mais chasse-la.
— Si je fais ça, elle mourra. L’Église la retrouvera et
la brûlera.
Guillaume d’Evecque le regarda.
— Tu es amoureux, n’est-ce pas ?
— Oui, avoua l’autre.
— Foutu nom du Christ ! s’exclama le Normand, hors
de lui. L’amour ! L’amour ! Il n’amène jamais rien que des
problèmes !
— L’homme est fait pour aimer comme les flammes sont
faites pour s’envoler vers le ciel.
— Peut-être, grimaça son ami, mais, dans un cas comme
dans l’autre ce sont les femmes qui fournissent le petit bois.
À cet instant, Geneviève les appela :
— Des cavaliers !
Thomas la rejoignit et regarda la route qui arrivait de
l’est. Soixante à soixante-dix cavaliers émergeaient des bois. C’étaient des
hommes d’armes revêtus des livrées orange et blanc de Bérat. D’abord, il pensa
que ce cortège venait offrir une rançon pour Joscelyn. Puis il comprit qu’ils
suivaient une étrange bannière, non le léopard de Bérat mais une flamme de
l’Église semblable à celles que l’on portait en procession les jours saints.
Elle était accrochée à une hampe en forme de croix et représentait la robe
bleue de la Vierge Marie. Derrière elle, sur de petits chevaux, on
reconnaissait tout un groupe d’ecclésiastiques.
Messire Guillaume fit le signe de croix.
— Problèmes à l’horizon, maugréa-t-il avant de se
tourner vers Geneviève. Pas de flèches ! Tu m’entends, jeune fille ?
Pas de foutues flèches !
Il dévala les marches et la Picarde regarda Thomas.
— Je suis désolée, dit-elle.
— D’avoir tué le prêtre ? Maudit soit ce
bâtard !
— Je crois plutôt que c’est nous qu’ils sont venus
maudire.
Elle s’approcha du jeune homme. Du rempart, ils
surplombaient la rue principale de Castillon d’Arbizon, la porte occidentale et
le pont enjambant la rivière en dessous. Les cavaliers armés s’arrêtèrent
devant l’entrée de la ville, tandis que les religieux mettaient pied à terre et
s’avançaient vers la porte. Ils remontèrent la rue principale en direction du
château. La plupart des prêtres étaient habillés de noir, mais l’un d’eux
arborait une chape blanche, une mitre et un bâton immaculé surmonté d’une
crosse d’or. L’homme – au moins un évêque – était bien en chair. De
longs cheveux blancs s’échappaient des bords dorés de sa coiffure. Il ne
prêtait aucune attention au petit peuple de Castillon, qui s’agenouillait sur
son passage. Parvenu au pied du château, il se mit à héler ses occupants :
— Thomas ! hurla-t-il. Thomas !
— Que vas-tu faire ? demanda Geneviève.
— L’écouter.
Il l’entraîna vers le petit bastion au-dessus
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