L'Héritage des Cathares
Béziers et Carcassonne, Montfort lui a confié les terres de Saissac et de Saint-Martin-en-Languedoc. C’est là que je l’ai trouvé en train de faire fouetter jusqu’à la chair vive un groupe de Parfaits. Pendant l’escarmouche qui en a résulté, j’ai eu la chance de me saisir de sa personne et, depuis, il profite de mon. hospitalité.
— Fils de chienne ! s’écria Marly, n’y tenant plus.
Il se leva brusquement, renversa la table et voulut se précipiter sur son geôlier. Aussitôt, le garde qui était resté dans l’embrasure de la porte entra et pointa son épée vers la poitrine du prisonnier, qui se rassit sans quitter Cabaret des yeux. Dans son regard, la haine était palpable.
— Bon ! s’écria Pierre Roger avec une bonhomie théâtrale en se frottant les mains. Le devoir m’appelle. Je te laisse vaquer à tes occupations ! Et dès que ton cousin se pointe à l’horizon, je te fais avertir. Si Dieu le veut, je le pendrai devant ta fenêtre pour que tu profites de sa présence.
Nous quittâmes le prisonnier livide de rage et d’impuissance. Une fois à l’extérieur, le sieur de Cabaret m’adressa un regard amusé.
— Tu comprends, maintenant, pourquoi Montfort va assurément se montrer ? demanda-t-il avec un air de diablotin.
— Disons qu’il devrait être très motivé, dis-je en ricanant.
— En ce moment, ses troupes sont insuffisantes et il se contente de harceler des villages sans défense. Mes espions me rapportent qu’il est sans pitié. L’un d’eux, en particulier, est presque devenu une légende. On le surnomme l’Aigle. Lui et ses hommes sont de véritables furies qui détruisent et tuent tout ce qui se trouve sur leur passage.
— Au cri de « Dieu le veut ! » ?
Pierre Roger me regarda, étonné.
— Tu le connais ?
— J’en ai bien peur, répondis-je, songeur, en pensant à l’aigle de Nanteroi qu’arborait Evrart et au cri qu’il avait lancé lors de l’assaut de Béziers. Et s’il s’agit bien de celui auquel je pense, il est redoutable, en effet.
Cabaret laissa son regard traîner sur la grande porte.
— Tôt ou tard, Montfort viendra et nous le recevrons d’une manière qui sied à son rang.
Bien que le caractère facétieux de Cabaret m’amusât, j’éprouvais une certaine réserve qui m’empêchait de partager l’enthousiasme de mon hôte. J’avais vu de mes yeux le genre d’homme qu’était Simon de Montfort. Déterminé, charismatique, aveuglé par sa foi. Je sentais au plus profond de mon être qu’il valait toujours mieux qu’un tel individu reste à bonne distance. Mais il était trop tard pour cela. Il ne restait donc qu’à se préparer en conséquence.
Pierre Roger me mena vers les cuisinières, dans la cour, et me fit servir une écuelle débordante d’un savoureux ragoût de céréales et de légumes assaisonné d’herbes. Il en prit une lui aussi, plus modeste, et nous mangeâmes debout en discutant de la situation que j’avais laissée à Minerve. Je finis par lui poser la question qui me chiffonnait depuis que nous avions arpenté ensemble le chemin de ronde.
— Sire de Cabaret.
— Pierre Roger, coupa-t-il en levant la main. Nous sommes tous égaux devant Dieu, Gondemar. Les titres de noblesse ne signifieront rien après notre mort.
— Pierre Roger. Quelque chose m’intrigue.
— Ah ? Quoi donc, rétorqua-t-il, l’œil brillant.
— Les fortifications de Cabaret n’ont aucune faiblesse et, en l’état, la place est tout simplement imprenable. À moins que Montfort n’ait une surprise de taille dans sa besace. Par ailleurs, tu sais clairement ce que tu fais. Tu as mené des embuscades contre les croisés, tu as même pris sous leur nez un prisonnier important. Je n’ai pas encore vu tes hommes s’exercer, mais j’en conclus qu’ils sont compétents.
— Tout à fait. Et même davantage.
— Il suffit d’observer le comportement des habitants pour voir qu’ils t’aiment et te respectent. Le maître de Cabaret, c’est toi.
— J’en suis le seigneur de droit. Je me targue d’avoir gagné l’affection de mes serfs en les traitant comme des égaux.
En regardant son sourire taquin, j’avais le sentiment agaçant qu’il jouait avec moi comme un chat avec une souris.
— Alors, que fais-je ici ? demandai-je en haussant les épaules. Tu n’as pas besoin de moi.
Il rendit son
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