L'Héritage des Cathares
lumière de la lune brillait la tête de la fillette qui m’avait salué lorsque je montais vers Cabaret. Je sentis une colère terrible enserrer mon cœur de sa main glaciale. Je vis tous les regards portés sur moi, qui n’attendaient qu’un mot de ma part.
— Demain, nous ferons une sortie, dis-je d’une voix à peine plus forte qu’un murmure.
Ma déclaration fut accueillie par un cri dans lequel se mêlaient la joie et une haine primale que je ne connaissais que trop bien.
— Gondemar, dit Pierre Roger en me posant la main sur l’avant-bras. Montfort ne peut pas prendre Cabaret et il le sait. Sa seule chance d’en venir à bout est de nous attirer à l’extérieur. C’est pour cette raison qu’il nous provoque. Ne tombe pas dans son piège.
— Ne crains rien. Je lui réserve une petite surprise.
Au matin, des colonnes de fumée montaient paresseusement de derrière les arbres et assombrissaient le soleil levant. Je ne doutais pas un instant qu’il ne restait rien de Lastours, mais à défaut d’avoir pu sauver le village, j’étais bien décidé à tirer parti de sa destruction.
Lorsque j’avais expliqué ce que j’avais en tête, tous les soldats, sans exception, s’étaient portés volontaires, ce dont je n’étais pas peu fier. J’avais choisi une trentaine d’hommes parmi les plus habiles, dont Ugolin et Landric. J’avais ordonné qu’ils n’aient qu’une épée, l’écu et l’armure ne pouvant qu’entraver nos mouvements.
Sous le couvert de la nuit, nous nous glissâmes à l’extérieur des murs par la porte sud-ouest, qui consistait en réalité en un étroit soupirail malodorant dans lequel un homme devait ramper sur le ventre. Guidés par Landric dans les sentiers étroits et rocailleux de la montagne, nous nous rendîmes au village de la face nord qui, contrairement à Lastours, avait été abandonné par ses habitants. Je faisais le pari que Montfort, ayant reconnu son incapacité à prendre Cabaret, lèverait le camp dans la journée, mais qu’avant de partir il ne pourrait pas résister à l’envie d’incendier l’autre village. N’imaginant pas de résistance, il enverrait sans doute un contingent réduit. Ces hommes, s’ils venaient, paieraient de leur vie les atrocités de la nuit et représenteraient un avertissement pour Montfort : les cathares ne se laisseraient pas massacrer comme des agneaux.
Avec Landric, Ugolin et deux soldats nommés Pagés et Bastistou, j’étais tapi dans les bois, près du seul sentier qui menait au village. Le reste de ma troupe était disposé par groupes de cinq dans les maisons abandonnées. Tous, nous attendions en silence, impatients de fondre sur l’ennemi. J’avais les membres ankylosés par des heures d’immobilité lorsque des voix s’élevèrent au loin. Soulagé, je regardai Ugolin.
— Donne le signal, murmurai-je.
Le géant se mit les lèvres en cul-de-poule et imita le cri du merle. Après quelques secondes, un cri identique, mais reproduit deux fois, nous parvint du village. Les nôtres étaient avertis de l’approche des croisés. L’embuscade était prête.
Les hommes de Montfort passèrent devant nous sans nous voir. Ils étaient une quinzaine tout au plus, à pied. Ils avaient laissé leurs chevaux au bas de la montagne. Tapi derrière des buissons, je ne pus les voir que de dos. Tous étaient en armes et trois ou quatre portaient des torches allumées qui confirmaient leurs intentions. J’attendis qu’ils aient disparu avant de donner le signal à mes hommes.
— Suivons-les, leur rappelai-je. Et surtout, pas un bruit. Ils doivent d’abord entrer dans le village. Lorsque les autres surgiront, nous devons leur couper la retraite. Entendu ?
Tous hochèrent la tête, une expression sombre et déterminée sur le visage. Nous avançâmes sur la pointe des pieds, l’épée au poing, en prenant soin de maintenir notre distance avec les croisés. Nous étions à environ une minute du village lorsque des cris y montèrent.
— Foutre de Dieu ! grondai-je. Ils n’ont pas su attendre ! Vite !
Je me lançai au pas de course dans le sentier, Landric, Ugolin, Pagés et Bastistou sur mes pas. Lorsque nous surgîmes dans le village, le combat était bien engagé sur la place et entre les maisons abandonnées. J’évaluai hâtivement la situation. Quelques croisés gisaient déjà sur le sol et les autres faisaient face à deux ou trois adversaires à la fois. À mon
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