L'Héritage des Cathares
petit pot en terre cuite qu’elle ouvrit. Elle y plongea les doigts et en ressortit une motte du même onguent jaunâtre qu’elle avait étendu sur le moignon de mon voisin de lit dans l’infirmerie de Minerve. Elle en étendit une épaisse couche sur la blessure refermée, puis posa sur le lit un épais rouleau de bandages.
— Assieds-le. Tout doucement.
Je procédai avec toute la délicatesse dont j’étais capable. Pendant que je soutenais mon maître inconscient par les épaules, elle enrubanna fermement son abdomen. Quand elle eut terminé, je le rallongeai sur le dos et remontai sur lui une mince couverture. Son visage était pâle et moite de sueur. Il avait l’air vieux et fragile.
— Et maintenant ?
— Nous attendons, répondit Pernelle.
Elle remit ses instruments et ses médicaments dans son coffre, se leva, s’approcha de moi et me posa les mains sur les épaules. Elle m’adressa un sourire qu’elle voulait rassurant.
— Si Dieu désire le rappeler à lui, il le fera. Va retrouver tes hommes. Je dois aider mes collègues, mais je veillerai sur lui, je te le promets. Je prierai pour lui, aussi. Et emmène ce gros douillet avec toi, dit-elle en désignant Ugolin qui gisait toujours sur le sol.
Je lui retournai son sourire du mieux que je le pus avant de m’accroupir pour secouer Ugolin et lui tapoter le visage.
— Allez, petit cœur tendre, debout.
Le géant grogna, ouvrit les yeux et, réalisant la situation dans laquelle il se trouvait, se remit sur ses pieds à toute vitesse, écarlate d’embarras.
— Je. La vue du sang. balbutia-t-il. Ça me. La tête me tourne à chaque fois.
— À chacun ses faiblesses, mon ami.
Je sortis avec le Minervois sans rien dire. Si j’avais pu prier, je l’aurais fait. Mais on n’invoque pas la pitié d’un Dieu qu’on a renié et qui nous a damné. Malgré la compagnie d’Ugolin, je me sentis terriblement seul.
Sur la place, Landric et ses hommes entraient en tirant une douzaine de chevaux ayant appartenu aux soldats de Nanteroi. Un grand bonheur me saisit lorsque j’aperçus parmi eux Sauvage, qui s’ébroua et hennit nerveusement dès qu’il me vit. Je courus dans sa direction et le laissai fourrer son gros museau humide dans mon cou en lui caressant la crinière. Pernelle, Montbard et maintenant Sauvage. Etrangement, mon passé semblait revenir vers moi une pièce à la fois.
La liesse atteignit son apogée lorsque, le lendemain qui avait suivi notre affrontement avec Evrart et ses hommes, nous vîmes, du haut de la muraille, les croisés lever le camp. Ce soir-là, les célébrations furent exubérantes et j’eus fort à faire pour assurer la présence de gardes en bon état sur le chemin de ronde. Même si leur victoire était courte et sans grande signification, les habitants de Cabaret étaient fiers d’avoir résisté aux croisés et de leur avoir causé des pertes. Qui étais-je pour les priver d’un sentiment qui risquait de ne pas durer très longtemps ?
Ecrasé par l’inquiétude pour Montbard et par les doutes que j’entretenais sur la suite des choses, j’étais, je crois, le seul à ne pas me réjouir de nos succès.
1
Si tu veux la paix, prépare la guerre.
Chapitre 18 Questionnements
Je ne me faisais aucune illusion sur la tournure des événements. Notre victoire avait été remportée contre des forces réduites et surprises de rencontrer une résistance organisée. Elle n’était attribuable qu’au fait que Cabaret était magnifiquement fortifiée. Il était clair que nous n’avions pas les troupes nécessaires pour affronter Montfort sur un terrain ouvert et nous ne les aurions jamais. Celles-ci ne feraient que décroître au fil des batailles et l’afflux périodique de nouveaux croisés rendrait les choses encore plus difficiles. Tôt ou tard, les cathares seraient submergés. La victoire de Cabaret n’avait fait que repousser l’inévitable. Pierre Roger le savait aussi bien que moi. Combien de temps le Sud tiendrait-il ? Je ne pouvais le dire. Pas très longtemps, sans doute. Alors, à quoi bon mener une bataille perdue d’avance ? Étais-je en train de conduire à la mort des hommes simples et valeureux pour mon seul bénéfice ? Avais-je le droit d’agir ainsi pour protéger une Vérité dont je ne savais rien ? Mais sans moi, ne couraient-ils pas à la mort de toute façon ? Ma présence ici changeait-elle quoi que ce soit à la tournure des
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