L'Héritage des Cathares
propos sortir de la bouche d’un templier qui avait fait vœu de défendre la foi chrétienne. Il frôlait l’hérésie. Il se contenta de faire un petit sourire coquin.
— Voir la mort de près vous a rendu bien philosophe, le taquinai-je pour alléger mon malaise.
— Quoi que tu en penses, j’ai une cervelle et il m’arrive parfois de m’en servir. C’est un des rares bons côtés de la vieillesse. Plus la fin approche, plus on se questionne. Quant à la mort, j’ai senti son haleine plus souvent qu’à mon tour, damoiseau.
Il hésita et se frotta la barbe. Son visage se renfrogna et il pinça les lèvres comme quelqu’un qui vient de mordre dans un fruit amer.
— Pour tout dire, cette maudite croisade m’a dépouillé de plusieurs certitudes dont je m’accommodais fort bien et de quelques illusions, aussi. En Terre sainte, les choses étaient claires. D’un côté, il y avait le Bien - nous - et, de l’autre, le Mal - les Sarrasins. Les chrétiens massacraient les infidèles au nom de Dieu et personne ne se posait de questions. Tout était noir ou blanc. Mais ici, dans le Sud, il n’y a que des teintes de gris trop subtiles pour moi. Quand on y pense, à part attirer des fidèles déçus de l’Eglise chrétienne et la priver de revenus importants, qu’ont fait les hérétiques pour mériter un tel traitement ? Tu peux me le dire ? Pourtant, nous voilà en train de les massacrer sur l’ordre du pape qui, naturellement, décrète au nom de Dieu. Cela en échange de notre salut. Une simple divergence d’opinions justifie-t-elle l’assassinat d’enfançons sans défense ?
Il inspira profondément, secoua la tête d’un air dépité et but une gorgée, songeur.
— Tout cela me dégoûte de plus en plus. S’il est vrai que nous possédons tous une étincelle de la lumière divine, comme nous le disent les prêtres, j’ai bien peur qu’elle vacille dans toute la chrétienté.
Il draina le fond de son gobelet et me fit signe de le remplir. J’hésitai.
— Dans votre condition, vous ne croyez pas que. ?
— Au diable ma condition ! Si une épée dans les tripes n’a pas réussi à me tuer, ce ne sont pas quelques gorgées de vin qui y arriveront. Allez, verse ou je te tanne le cul !
— Je voudrais bien vous y voir.
À contrecœur, je lui versai sa rasade, curieux de découvrir où mènerait cette étonnante conversation.
— S’il est une chose que j’exècre, c’est l’hypocrisie, reprit-il. Depuis le premier jour, je n’ai jamais pu me résoudre à faire confiance à ce bigot précieux et embijouté d’Amaury. Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens. Quelle abomination ! Et tu as vu ses yeux ? Ils sont froids, sans âme. Des yeux de fanatique.
Il resta longtemps silencieux. Il semblait hésiter à explorer plus avant ce terrain où il n’allait qu’à contrecœur. Il grimaça en portant la main à son abdomen avant de se reprendre très vite. L’homme était orgueilleux et n’aimait pas être vu dans un état de faiblesse. Surtout pas par celui qu’il avait formé à la dure.
— Parle-moi des hérétiques, dit-il. Sont-ils les diables ambulants qu’on a voulu nous faire imaginer ou ont-ils quelques qualités rédemptrices ?
— À leur contact, et particulièrement en discutant avec Pernelle, j’ai pu constater qu’ils ne sont pas les suppôts de Satan qu’on nous dépeignait.
Je lui relatai tout ce que j’avais appris de Pernelle. Je lui parlai du clergé formé d’hommes et de femmes, de leur idéal de paix, de leur rigueur et des nombreuses prières quotidiennes auxquelles ils étaient astreints, du soin des malades qui était la vocation de plusieurs et de la chasteté qu’ils s’imposaient.
— On ne peut en dire autant de la plupart de nos prêtres. grogna-t-il avant de boire.
— Pour le reste, continuai-je, ils rejettent l’Ancien Testament, qu’ils estiment inspiré par le Dieu du Mal. Ils refusent de prêter serment, car Jésus lui-même le déconseillait. Ils croient que les âmes s’incarnent autant de fois qu’il faut pour être purifiées et retourner à Dieu. Ils considèrent Jésus comme un prophète, mais pas comme le fils de Dieu, et ils rejettent sa croix car, pour eux, on n’adore pas un instrument de torture.
— Morbleu. Voilà des travers qui ne leur gagneront pas la faveur d’Innocent.
— Si l’on pousse leur logique jusqu’au bout,
Weitere Kostenlose Bücher