L'Héritage des Cathares
raison. J’avais bel et bien été décapité par les brigands. Ma tête avait dû rouler mollement dans les herbes de la forêt et mon corps se vider de son sang là où Evrart et ses hommes m’avaient découvert. Par un pouvoir qui dépassait mon entendement, Métatron l’avait remise sur mes épaules, laissant une cicatrice qui ne permettrait jamais d’oublier que je n’étais qu’un damné en sursis. Il m’avait marqué l’épaule pour affirmer sa propriété, comme on le fait pour une bête. Puis, par la volonté du Dieu que j’avais rejeté, l’archange m’avait sorti de l’enfer et ramené à la vie.
Pourquoi moi ? Dieu ne disposait-il pas d’anges, d’archanges et de saints pour mener à bien sa volonté sur terre ? N’avait-il pas envoyé son fils aux hommes pour leur indiquer la voie du salut lorsqu’il l’avait jugé bon ? S’il requérait absolument un damné pour mener à bien cette tâche, n’y avait-il pas pire que moi en enfer ? Comment une âme tenue à l’écart de la lumière divine pouvait-elle devenir la main de Dieu sur terre ? J’avais reçu la grâce d’une seconde chance de celui-là même que j’avais renié. Était-ce par magnanimité ou par cruauté ? Je n’aurais su le dire, mais je n’avais d’autre choix que de tenter d’être à la hauteur de ce que Dieu semblait espérer de moi.
Presque deux semaines après ma résurrection, alors que j’avais retrouvé le plus gros de mes forces, je décidai de me remettre à l’entraînement. J’éprouvais un besoin urgent de retourner dans le vide rassérénant et l’oubli que me procurait le maniement des armes. Les efforts soutenus, la concentration qu’il exigeait, la sueur qui recouvrirait bientôt mon corps, la fatigue qui s’ensuivrait. J’avais espoir que tout cela me permettrait de fuir, ne fût-ce que quelques minutes, les tourments qui me grugeaient l’âme.
Je ramassai le paquet dans lequel Evrart avait conservé mes armes, en tirai mon épée et sortis de la tente. Une fois installé, je me mis à faire siffler mon arme dans les airs, lui faisant décrire de grands moulinets que m’avait appris Bertrand de Montbard.
Peu à peu, mes muscles se délièrent. Lorsque je m’interrompis, en nage, ma respiration profonde irritait ma gorge encore enflée et ma fatigue était grande. Mais j’étais parmi les vivants et, pour un instant, j’avais réussi à oublier.
— Te voilà rétabli, on dirait, fit la voix d’Evrart derrière moi.
Je me retournai. Il se tenait à quelques toises de moi, près de
la tente, et m’observait sans doute depuis plusieurs minutes.
— Pour un miraculé, tu manies l’épée avec une belle vigueur. Il te reste encore un peu d’énergie ? demanda-t-il, l’air taquin. Je ne te fatiguerai pas trop.
Mes jambes étaient molles et mes bras lourds. Je soufflais comme un bœuf. Mais Evrart semblait sincèrement heureux de me voir sur pied. Pouvais-je lui refuser quelques minutes de plaisir ? Et puis, même en badinant, il venait de me défier. Ce fut par pur orgueil que je hochai la tête puis me mis en garde. Le sourire fendu jusqu’aux oreilles, il tira son épée de son fourreau et la brandit.
— Pardieu ! Voyons quel genre d’adversaire tu fais, dit-il en la faisant tournoyer devant moi.
Mon bienfaiteur se révéla être un combattant redoutable. Son arme, plus courte et plus maniable, lui donnait une grande mobilité, alors que la mienne, longue et massive, exigeait une force que je n’avais pas. Profitant de ma fatigue, il tournoyait autour de moi, attaquant successivement mon torse, mes côtes et mes jambes. Bientôt, je dus reculer devant ses coups rapides et répétés, que je n’arrivais à parer qu’au dernier instant. Mes bras pesaient autant que des tonneaux pleins et mes jambes tremblotaient comme celles d’un bébé. La sueur me brûlait les yeux. Ma gorge laissait passer de moins en moins d’air et ma respiration sifflait.
Autour de nous, les hommes d’Evrart s’étaient massés et encourageaient joyeusement leur chef. J’avais atteint la limite de mes forces lorsque l’erreur que j’espérais se produisit. Trop sûr de lui, Evrart leva son épée à deux mains pour l’abattre en force, découvrant ainsi son abdomen. Je bloquai le coup, repoussai son arme vers l’arrière, pivotai sur moi-même et, avec tout ce qu’il me restait de force, j’enfonçai mon coude dans le creux de son ventre. Il plia en deux, le visage
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