L'Héritage des Cathares
cul par-dessus tête en moins de deux. Regarde-le se faire secouer.
Evrart s’arrêta soudain, la vague de croisés se séparant harmonieusement pour le contourner de chaque côté sans même ralentir. Nous nous immobilisâmes à sa suite avec discipline. Poussant ceux qui se trouvaient sur son chemin, il se fraya un passage dans la horde humaine pour rejoindre la chaise à porteurs. Lorsqu’il y fut, il écarta brusquement le rideau.
— Monseigneur ? cria-t-il pour se faire entendre par-dessus le vacarme.
Une ombre de terreur passa sur le visage austère du légat, qui écarquilla les yeux. Il se reprit en constatant que l’homme qui se tenait à ses côtés était un croisé et non pas un adversaire décidé à lui décoller la tête.
— Monseigneur, comment distinguerons-nous les bons chrétiens des hérétiques ? interrogea Nanteroi en haussant les épaules en signe d’impuissance. Et que faire des femmes, des enfants et des vieillards hérétiques ?
— Caedite eos. Novit enim Dominus qui sunt eius 2 , mon fils, rétorqua Amaury avec dédain en traçant le signe de la croix devant le visage médusé d’Evrart.
— Tous ? répéta Nanteroi, incrédule. Vous. vous me commandez de tuer des chrétiens innocents ? De massacrer des enfants, des femmes et des vieillards sans défense ? Par Dieu, je suis chevalier, pas boucher.
Amaury passa la tête entre les rideaux pour approcher son visage à quelques doigts de celui de Nanteroi.
— Je te demande de faire l’œuvre de Dieu, comme le croisé que tu es ! Les soi-disant chrétiens qui habitent ce lieu de perdition côtoient des hérétiques tous les jours et s’en accommodent
fort bien. Aucun d’eux n’est innocent ! Aucun ! Ils ne méritent rien de mieux ! Si tu as le cœur trop fragile et que tu n’es pas digne de la croix que tu arbores, rebrousse chemin et retourne sur tes terres sans indulgence ni butin. Sinon, va et bats-toi avant que nous décidions de t’excommunier.
Le rideau se referma sèchement et Amaury s’éloigna, ses quatre porteurs luttant pour conserver un équilibre précaire et ballottant allègrement le légat du pape et sa conscience tranquille. Evrart resta là, médusé.
— Evrart ? Que faisons-nous ? s’enquit Androuet en lui posant une main gantée de cotte de mailles sur l’épaule.
Nanteroi sursauta. Déchiré entre son honneur et son salut, il se mordilla la lèvre inférieure. Puis il toisa ses hommes, tous avides de participer au pillage, mais déterminés à lui obéir. Le seigneur de Nanteroi bomba le torse.
— Tu as entendu ce qu’a ordonné le légat, dit-il d’une voix déterminée. Deus vult 1 . Tuez tous ceux qui se trouvent en cette cité, qu’ils soient armés ou pas.
Il se signa et fit quelques pas vers la bataille.
— Dieu le veut ! cria-t-il.
— Dieu le veut ! répondirent ses hommes.
Puis il s’élança et nous le suivîmes tous jusqu’en enfer.
1
Les voies de Dieu sont parfaites. II Samuel 22,31.
2
Tuez-les tous. Dieu reconnaîtra les siens.
Chapitre 12 Au nom de Dieu
Lorsque nous arrivâmes à la muraille après avoir franchi le pont, la porte était définitivement prise. Incapables d’endiguer les vagues de combattants qui remplaçaient ceux qui tombaient, les troupes de Béziers avaient fini par battre en retraite, laissant les croisés s’engouffrer dans la cité. Nous dûmes franchir une véritable colline de chair humaine, piétinant les morts et les blessés sans même nous y arrêter.
Malgré l’entraînement rigoureux auquel m’avait soumis Bertrand de Montbard, je n’avais participé qu’à quelques escarmouches contre des brigands. Je réalisais maintenant ce qu’était la guerre. Rien ne m’avait préparé à la scène d’apocalypse qui se déroulait sous mes yeux. Le carnage était inimaginable, inconcevable. Partout où se posait mon regard régnait une violence sauvage et primale. Dans ce tourbillon, l’homme semblait ravalé au niveau de la bête, criait comme elle, grognait comme elle, tuait comme elle. L’odeur âcre du sang et de la mort était intense, étouffante.
Figé sur place, je laissai mon épée et mon écu retomber, observant passivement ce qui se déroulait autour de moi. Surgissant en trombe dans les rues, les croisés fonçaient comme une meute affamée contre les soldats de Béziers, complètement dépassés, qui ne pouvaient que reculer en se défendant avec une valeur et un
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