L'Héritage des Cathares
Perplexe et découragé, je laissai retomber lourdement ma main sur le matelas.
Bien que tout à fait incapable de sursauter, je fus surpris lorsque mon voisin de lit ouvrit brusquement les yeux. Après un moment de désorientation, il les posa sur moi et les plissa, l’air mauvais.
— Tu es vivant, dit-il, d’un ton amer.
Je tentai de lui répondre, mais ma bouche était aussi sèche qu’un désert. Avant que je ne puisse en extraire un son intelligible, il reprit, les dents serrées de colère.
— Je ne comprends pas pourquoi les Parfaits. ont sauvé la vie d’un assassin. de ta sorte, haleta-t-il. Que Dieu me. pardonne, mais. ils auraient dû. te laisser mourir au. bout de ton sang. Si j’en étais. capable, je t’achèverais. sur-le-champ, maudit bourreau. d’enfants. Même. avec un seul bras. Avec. mes dents, s’il le fallait.
Je ne trouvai rien à dire. Le massacre dont j’avais été témoin justifiait amplement la haine que me vouait cet homme. Je n’avais aucune peine à me mettre à sa place et je comprenais son amertume. J’avais moi-même tué tout mon saoul.
Mon voisin avait fait référence aux Parfaits. Je me souvins qu’Arnaud Amaury nous avait expliqué - était-ce seulement la veille ? - qu’il s’agissait des prêtres cathares. Des hommes, mais aussi des femmes. Alors, pourquoi mon ennemi m’aurait-il sauvé la vie ? M’avait-on recueilli par erreur ?
— Suffit, Fermin, dit une voix douce mais ferme, derrière moi. Je vois que ta guérison progresse suffisamment bien pour que tu te sentes à nouveau belliqueux. Crois-moi, je peux comprendre ton sentiment. Pourtant, ne t’en déplaise, cet homme est mon patient. Il est ici sous la protection de Dieu, comme tous les autres. La charité exige que tu le traites comme tel et que tu tiennes ta langue.
— Pardonne-moi, dit l’homme, penaud.
La femme en noir boitilla jusqu’à mon voisin. J’essayai de tendre la main vers elle, de l’avertir de ma présence, mais, après ces quelques minutes d’éveil, une lourdeur insurmontable m’enveloppait à nouveau. Je la vis s’agenouiller près du lit et se pencher sur le bras du blessé.
— Voyons cela, maintenant, dit-elle en défaisant doucement les bandages.
Tout en travaillant, elle se mit à fredonner doucement.
Pucelette belle et avenante Joliette, polie et plaisante,
La sadette que je désire tant Nous voici, jolis et amant.
Je dus perdre conscience pour quelques instants car, quand je rouvris les yeux, une voix m’accueillit.
— J’ai eu très peur que tu ne te réveilles jamais, Gondemar.
Lentement, j’arrivai à tourner la tête, sachant déjà qui je
verrais, mais n’arrivant pas à y croire. Un élancement me fit fermer les yeux jusqu’à ce que le monde ait cessé de tourner. Lorsque je les rouvris, elle était assise sur le bord de mon lit. Son visage piqué de vérole, encadré par le foulard noir qui couvrait ses cheveux blonds, avait pris de la maturité. Ses yeux verts étaient toujours aussi profonds et me firent le même effet que jadis. Malgré ses traits qui s’étaient beaucoup creusés et qui dégageaient une lassitude palpable, il n’y avait aucun doute possible. C’était bien elle.
— Pernelle ? parvins-je à râler.
Je me mis à tousser et elle me tendit un gobelet d’eau que j’avalai de mon mieux.
— Voilà. dit-elle en le retirant. Ça va mieux ?
Je me contentai de hocher la tête.
— Pardonne à ce pauvre Fermin. C’est un brave homme, mais il est rempli d’amertume. Manchot, qui peut dire comment il gagnera sa vie lorsque toute cette. folie aura cessé ?
Elle sourit et écarta avec tendresse mes cheveux de mon visage. Du bout des doigts, elle tâta mon front délicatement et fronça les sourcils, l’air perplexe. Puis elle examina mes mains et les replaça sur le matelas. Je remarquai son regard. Il avait changé. Il n’était plus celui de la fillette que j’avais connue. Les années y avaient fait apparaître une profondeur nouvelle. Une grande sérénité, aussi, qui tranchait avec l’effarouchement et la douleur que j’y avais vus lorsque j’étais entré chez elle, voilà si longtemps.
J’essayai de parler à nouveau, mais n’y parvins pas. L’effort requis dépassait mes forces. Elle sembla remarquer mes efforts.
— Chut, fit-elle en posant un doigt sur ma bouche. Tiens, bois ceci.
Elle porta à mes lèvres un petit bol en bois dont
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