L'Héritage des Templiers

aux gémissements des frères blessés, à l’agonie, à l’angoisse d’enterrer ceux qui n’avaient pas survécu au conflit. Telle était la vie des Templiers. Les premiers à se jeter dans la bataille, les derniers à se retirer. Le sénéchal se demandait pourquoi Raymond de Rochefort regrettait cette époque. La futilité de leur condition avait été prouvée lorsque l’Église et le roi s’étaient retournés contre l’ordre au moment de la purge, sans aucun égard pour les bons et loyaux services rendus pendant deux siècles. Certains avaient péri sur le bûcher, d’autres avaient été torturés, irrémédiablement mutilés, tout cela par simple convoitise. Une véritable légende entourait les chevaliers du Temple aujourd’hui. Mémoire d’un passé révolu. Personne ne se préoccupait de savoir si l’ordre existait toujours, et réparer les injustices du passé semblait impossible.
    Il fallait laisser les morts dormir en paix.
    Il jeta un dernier coup d’œil au panthéon avant de renvoyer les frères à leurs occupations – tous, sauf un. Son assistant. Il fallait qu’ils s’entretiennent en privé. Le jeune homme approcha.
    « Dis-moi, Geoffrey, que complotiez-vous, le maître et toi ?
    — Que voulez-vous dire ? fit le jeune homme, éberlué.
    — Le maître t’a-t-il demandé de lui rendre un service récemment ? Allons, ne me mens pas. Il est mort, mais moi je suis bien là. » Il se disait qu’en rappelant au jeune homme qui était le chef, il lui serait plus facile de découvrir la vérité.
    « Oui, sénéchal. J’ai envoyé deux courriers pour le maître.
    — Parle-moi du premier.
    — Épais et lourd comme un livre. Je l’ai posté depuis Avignon il y a plus d’un mois.
    — Et le second ?
    — Expédié lundi dernier depuis Perpignan. Une lettre.
    — À qui était-elle adressée ?
    — Ernst Scoville, à Rennes-le-Château. »
    Le jeune homme se signa furtivement et le sénéchal sentit de la confusion et de la méfiance chez lui. « Qu’y a-t-il ?
    — Le maître m’avait averti que vous me poseriez ces questions. »
    Voilà qui était intéressant.
    « Il m’a dit que lorsque vous le feriez, reprit Geoffrey, je devrais vous dire la vérité. Mais il m’a également demandé de vous prévenir. Nombreux sont ceux qui se sont engagés sur la voie que vous vous apprêtez à prendre, mais aucun n’est jamais parvenu à ses fins. Il espère que vous réussirez et vous souhaite bonne route. »
    Son mentor était un homme brillant qui en savait bien plus qu’il ne l’avait jamais dit.
    « Il a également dit que vous deviez aller au bout de votre quête. Tel est votre destin. Que vous en soyez conscient ou pas. »
    Il en avait suffisamment entendu. Cela expliquait pourquoi la cassette enfermée dans l’armoire du maître était vide. Le livre qu’il cherchait n’était plus à l’abbaye. Le maître l’avait fait expédier ailleurs. D’un geste bienveillant, il ordonna à Geoffrey de se retirer. Celui-ci s’inclina et se dirigea promptement vers la porte d’or.
    Le sénéchal avait oublié un détail. « Attends ! Tu ne m’as pas dit où tu avais expédié le livre. »
    Geoffrey s’arrêta, se retourna mais garda le silence.
    « Pourquoi ne réponds-tu pas ?
    — Il ne faut pas que nous parlions de ça. Pas ici. Pas en sa présence, dit le jeune homme en regardant furtivement le cercueil.
    — Il voulait que je sache, tu me l’as dit toi-même. »
    Le jeune homme lui lança un regard plein d’angoisse.
    « Où as-tu envoyé le livre ? » Il avait besoin de se l’entendre dire, même s’il connaissait déjà la réponse.
    « Aux États-Unis. Chez une certaine Stéphanie Nelle. »

20
     
    Rennes-le-Château
    14 h 30
     
    Malone inspecta le modeste intérieur d’Ernst Scoville dont le décor était composé d’un mélange éclectique d’antiquités britanniques, d’art hispanique du XII e siècle et de quelques tableaux français sans grand intérêt. Selon ses premières estimations, la bibliothèque contenait un millier de livres, éditions de poche aux pages jaunies et livres aux reliures défraîchies, pour la plupart. Les étagères étaient posées sur les murs porteurs de la maison et les livres méticuleusement rangés par sujet et par taille. De vieux journaux étaient classés par année de publication, par ordre chronologique. Idem pour les magazines. Ils avaient tous pour sujet Rennes-le-Château,