L'histoire secrète des dalaï-lamas
nouveau les affaires de l’État au ganden tripa, le chef de l’école Gelug, et s’enfuit, cette fois en direction de l’Inde.
Protégé par une centaine d’hommes, Thubten Gyatso atteint Yatung le 20 février, franchit la frontière tibéto-indienne le 21 et arrive, le 25, à Kalimpong pour un nouvel exil. C’est ce jour-là que Pékin publie un décret impérial, dont il fait parvenir une copie aux autorités britanniques : « Le dalaï-lama a reçu d’abondants privilèges des mains de nos prédécesseurs impériaux. Il aurait dû cultiver avec dévotion les préceptes de la religion, conformément aux précédents établis, de manière à répandre la doctrine des Bonnets jaunes. Mais, depuis qu’il assume le contrôle de l’administration, il s’est montré fier, extravagant, lubrique, paresseux, d’un vice et d’une perversité sans pareils, violent et désordonné. Il a désobéi aux commandements de l’empereur et opprimé les Tibétains. En juillet 1904, il s’enfuit pendant une période de troubles, et l’amban impérial le dénonça auprès de nous comme étant un personnage peu fiable. On publia alors un décret le privant temporairement de ses titres. Il se rendit à Ourga, d’où il revint ensuite àXining. Soucieux de sa fuite dans une région lointaine, et espérant qu’il se repentirait et rectifierait son comportement malveillant, nous avons ordonné aux fonctionnaires locaux de lui prêter l’attention qui lui revient. Il y a deux ans, il vint à Pékin où il reçut, lors d’une audience, de nouveaux titres et des cadeaux. Sur son chemin du retour vers le Tibet, il traîna et provoqua des troubles ; nous avons pourtant fait preuve d’indulgence à son égard afin de lui manifester notre compassion. Dans notre grande générosité, nous lui avons pardonné le passé. Les soldats du Sichuan ont été envoyés au Tibet dans le seul but d’y maintenir l’ordre et de protéger les marchés commerciaux. Les Tibétains n’avaient aucune raison d’avoir des soupçons sur nos intentions. Mais le dalaï-lama a répandu des rumeurs. Il s’est rebellé ; il a tenu des propos diffamatoires sur les ambans ; il a refusé de l’aide et il n’a pas voulu entendre raison. Lorsque l’amban nous a télégraphié que le dalaï-lama s’était enfui dans la nuit du 12 février, nous avons ordonné que l’on prenne toutes les mesures nécessaires pour le ramener. On ignore cependant à présent où il se trouve. Il est coupable de trahison et il s’est éloigné de notre faveur impériale. Il n’est pas digne d’être la réincarnation d’un Bouddha. C’est pourquoi, nous ordonnons, à titre de châtiment, qu’il soit déchu de ses titres et de sa position de dalaï-lama. De ce fait, peu importe l’endroit où il se rendra et résidera, que ce soit au Tibet ou ailleurs, nous le traiterons comme un individu ordinaire. Nous ordonnons que l’amban commence aussitôt à rechercher des enfants mâles présentant des signes miraculeux. Qu’il inscrive leurs noms sur des tablettes et place celles-ci dans l’urne d’or, de manière à ce que l’on puisse tirer un nom désignant la véritable réincarnation des précédents dalaï-lamas. Que cette affaire nous soit ensuite soumise afin que nous puissions accorder notre faveur impériale à l’enfant choisi qui continuera ainsi à répandre la doctrine bouddhiste. Nous récompenserons la Vertu, mais le Vice peut souffrir. Vous, les lamas et les laïcs du Tibet, vous êtes nos enfants. Obéissons tous aux lois et préservons la paix. Ne laissons personne déconsidérer notre désir de soutenir la lignée des Bonnets jaunes et préservons la tranquillité de nos territoires frontaliers [303] . »
En 1910, le treizième dalaï-lama n’a toujours pas retrouvé ses prérogatives politiques. Heureusement, il a mis à profit le temps de l’exil pour apprendre au contact de Georges Ivanovitch Gurdjieff et des Occidentaux qui passaient en Inde, les rouages de la politique moderne, celle-là même qu’il entendait développer dans son propre pays dès son retour.
À Darjeeling, où il séjourne habituellement, il a analysé les événements qui ont conduit le Tibet à être occupé à deux reprises, en 1904 et en 1910. Sa conception du monde s’est élargie et il entend bien inaugurer une nouvelle ère dans les relations entre la Chine et le Tibet ; il s’agirait, entre autres, d’utiliser la Grande-Bretagne et l’Inde comme
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