L'histoire secrète des dalaï-lamas
médiateurs, voire comme soutiens, contre Pékin. Or, l’Empire Qing, déjà en pleine déliquescence, se disloque chaque jour un peu plus en raison des soubresauts internes.
L'indépendance retrouvée
En Chine, la révolution républicaine éclate en octobre 1911. Le 12 février 1912, l’empereur Puyi, qui n’est encore qu’un enfant, abdique. Le 15, le général Yuan Shikai [304] , ancien militaire de la dynastie Qing, se fait élire président provisoire de la République de Chine ; il installe sa capitale à Nankin. N’ayant perçu ni soldes ni vivres, les troupes chinoises stationnées sur le Toit du monde se mutinent. Lorsque les militaires apprennent la création d’une République dans leur pays, ils pillent la résidence des ambans de Lhassa et les capturent.
Ordre est donné à tous les soldats chinois basés au Tibet de rallier la capitale tibétaine.
Dans le même temps, une armée quitte le Sichuan, alors secoué par de terribles soubresauts [305] , pour mater les rebelles tibétains.
Le 21 avril 1912, Yuan Shikai déclare que le Toit du monde continue à être une province chinoise. Les nationalistes, eux, s’engagent dans la reconquête du Tibet.
Aux Indes, le dalaï-lama organise la rébellion armée contre l’occupant. Il a déjà ordonné à ses ministres de regagner Lhassa pour préparer son arrivée.
À Shigatsé, le panchen-lama se propose comme intermédiaire entre Thubten Gyatso et les Chinois. Rappelant les promesses britanniques de lui fournir des armes et des munitions, il demande au représentant de Sa Majesté deux cents fusils modernes, deux mitrailleuses lourdes et des munitions pour la défense de Tashilhunpo. Faute de réponse, Choekyi Nyima s’adresse à l’agent commercial britannique de Gyantsé, l’implorant d’intercéder auprès des autorités britanniques afin d’organiser une rencontre avec le souverain tibétain à Ralung ou à Kangma...
Une demande identique est adressée à l’agent anglais basé à Yatung, mais celle-ci est signée de la main du treizième dalaï-lama.
Les Britanniques décident de ne rien faire, mais se placent en observateurs.
En 1913, Thubten Gyatso proclame l’indépendance du Tibet. La relation de chöyön qui unissait les dalaï-lamas aux empereurs mandchous ayant pris fin avec la disparition de la dynastie Qing, les liens sont, à présent, totalement rompus avec la Chine. Pour la première fois depuis le XVIIe siècle, aucun représentant officiel chinois ne vit sur le sol tibétain. Mais pour autant, la Chine n’abandonnera jamais ses prétentions de suzeraineté ou de souveraineté [le mot apparaît avec les nationalistes chinois, en 1911] sur le Toit du monde.
En janvier, une délégation tibétaine conduite par Aghwan Dorjieff, toujours ministre des Affaires étrangères du gouvernement tibétain, signe avec la Mongolie, devenue elle aussi indépendante, un traité de paix, dont le texte original [306] , en langue tibétaine, a été retrouvé, en 2007, en Mongolie. Ce document officiel, longtemps mis en doute, prouve que le Tibet et la Mongolie agissaient en tant que nations indépendantes, libérées de toute ingérence étrangère : la signature apposée par les Tibétains porte le sceau du ministre des Affaires étrangères Aghwan Dorjieff et celui du représentant mongol, des ministres plénipotentiaires dotés des pleins pouvoirs pour signer ce traité [307] .
La société tibétaine
Le monde change, mais le Toit du monde reste immuable. En 1913, après deux exils et une longue suite de conflits au cœur même du panthéon bouddhiste tibétain, le dalaï-lama, âgé de trente-huit ans, va se montrer déterminé à rompre avec le passé. La vérité est toute simple : la théocratie élaborée par le Grand Cinquième a traversé deux siècles et demi sans évoluer. Les clans familiaux représentent toujours 5 % de la population. Les mariages, arrangés, sont encore le trait d’union entre les membres de clans différents, et la polygamie est toujours de mise dans l’aristocratie, la noblesse et chez les riches marchands, ainsi que la polyandrie chez les agriculteurs, les éleveurs, les sédentaires et les semi-nomades.
Si, chez les nyingmapas et les sakyapas, les moines continuent à se marier, Ekai Kawaguchi, le bonze japonais, s’était étonné du libertinage [308] qui régnait dans les lamasseries tibétaines. Comme il avait appris le tibétain auprès de Sarat Chandra Das, il avait lu
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