L'histoire secrète des dalaï-lamas
le Traité sur la Passion. Son auteur, Guendun Choephel, avait dressé soixante-quatre tableaux sur l’art de l’amour au Tibet, en s’inspirant très largement du Kamasutra indien et un peu du Tao de l’Art d’aimer, le premier ayant des relations très étroites avec la religion, et le second constituant une branche importante de la médecine chinoise. Mais il avait aussi rencontrés des lamas qui avaient inventé ou amélioré des formes nouvelles et des pratiques dans le tantrisme sexuel, grâce à des récits que l’on avait rapporté du monde arabe, comme cette technique spécifique de l' Imsak [*] , le contrôle de l’éjaculation. Toutes ces pratiques entremêlées du Traité sur la Passion, du Kamasutra indien et du Kamasutra arabe leur permettaient de célébrer la chair dans les rituels secrets du Tantra du Kalachakra, où les femmes et les hommes étaient transformés en esclaves sexuels tantriques [309] .
En 1913, les mi-sèr et les duchung constituent encore la grosse majorité de la population tibétaine. Les mi-sèr ont une identité légale, un lien de dépendance héréditaire à un domaine ou à un monastère. Les duchung peuvent être comparés à des ouvriers itinérants. C’est toujours le servage du Moyen Age. Les nangzan, les esclaves, représentent quant à eux entre 5 et 10 % de la population. Ils appartiennent aux domaines, aux monastères et aux aristocrates. Ce sont souvent des enfants enlevés à leurs parents, comme cela se faisait à l’époque dans le nord-ouest du Tibet. En 1913, ces esclaves du Toit du monde ont encore un statut héréditaire : on continue à les offrir pour repeupler les régions, pour payer tribut, en échange contre des marchandises. Sous le règne du treizième dalaï-lama, le commerce d’esclaves est toujours aussi lucratif et il n’est pas près de cesser.
À peine intronisé, en 1895, Thubten Gyatso avait voulu interdire la peine de mort. Vingt ans plus tard, il y a des geôles dans les sous-sols du Potala – de même qu’il y en a à Tashilhunpo et dans chacun des monastères du bouddhisme tibétain – et la peine de mort s’applique à tous les échelons de la société, depuis les tulkus jusqu’aux serfs et aux esclaves [310] . L’énucléation, l’arrachage des tendons, l’écartèlement, l’écrasement des testicules sont parmi les peines les plus courantes, avec l’empoisonnement. Or, en rappelant le caractère sacré des grands maîtres du bouddhisme tibétain, la justice n’appartient pas au seul dalaï-lama.
Des réformes promises à l’échec
Tout au début de son règne, Thubten Gyatso est entouré de deux favoris : Tsarong, probablement le plus proche ; et, Lungshar, le plus ambitieux. Les deux hommes se détestent, mais ils sont d’accord sur un point : il faut faire évoluer la société tibétaine. Dès lors, il devient urgent de procéder à différentes réformes, dont celle de la justice, et de s’attaquer à la corruption, qui touche autant le gouvernement que les monastères.
Tsarong avait poussé le souverain à adhérer à l’Union postale internationale. Dans ses principaux projets, il y a l’importation d’automobiles et la navigation de bateaux à vapeur sur les nombreux lacs du pays, exceptés sur les sites sacrés comme le Lhamo-Latso, le lac des Visions. De son côté, Lungshar propose d’étendre les impôts, en relevant les droits sur le sel et les peaux, en frappant d’une taxe de 5 % les marchandises échangées à la frontière indo-tibétaine, et de s’attaquer aux fraudes fiscales : elles touchent quasiment tous les monastères du pays, quelle que soit leur obédience, à commencer par les plus importants de l’école Gelug, c’est-à-dire Ganden, Drepung et Sera, sans oublier Tashilhunpo, siège des panchen-lamas. Aussitôt l’indépendance proclamée, le dalaï-lama demande d’ailleurs au panchen-lama de participer aux dépenses de guerre relatives au conflit de 1912 contre l’Empire Qing, lequel a conduit à l’indépendance de leur pays ; et, plus encore, il exige une participation aux dépenses de guerres tibéto-britanniques de 1888 et de 1904. Le total se résume à vingt-sept tonnes de céréales. Cette énième crise entre les deux autorités gelugpas aboutira, le 15 novembre 1923, à la fuite du neuvième panchen-lama Choekyi Nyima : il ne reverra plus son monastère de son vivant.
Hélas, toutes les tentatives de réforme seront un échec. Tsarong,
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