L'histoire secrète des dalaï-lamas
sujets à l’impermanence, comme tous les êtres vivant dans le samsara.
L’interprétation bouddhiste du concept de renaissances et de réincarnations étant fondée principalement sur la notion de continuité de la conscience, le dalaï-lama ne se volatilise pas dans la nature. Une renaissance suivra, plus ou moins heureuse, plus ou moins bonne. Chacun accepte cette notion de renaissance, telle qu’elle est imposée par la nature de leurs propres karmas et par les impressions psychiques laissées par les actions passées du corps, de la parole et de l’esprit. Si, quand survient la mort, un mode de pensée favorable prédomine, il s’ensuit une renaissance heureuse. Si l’on s’abandonne à des idées malsaines, on renaît dans l’un des trois niveaux inférieurs correspondants, où une souffrance intense sera endurée. Le défunt renaîtra indifféremment ami, ennemi, frère, sœur, mère, père dans ses prochaines vies, et c’est dans la matrice que l’on reprend naissance, c’est là que le fœtus va traverser différentes expériences. Nous savons qu’un délai moyen de quarante-neuf jours est nécessaire à cette renaissance. Des réincarnations comme le dalaï-lama peuvent renaître plus rapidement, tandis que d’autres attendront des années avant de réapparaître sous une forme humaine ou une autre manifestation...
La grande réincarnation
Dans le cadre des réincarnations des lamas, il nous faut évoquer le principe particulier du tulku, c’est-à-dire la réincarnation d’un maître du passé, qui a parfois les mêmes traits que son incarnation précédente. L’idée de réincarnation est intégrée à la structure philosophique du bouddhisme. Elle n’est pas pour autant un enseignement du Bouddha, mais elle est considérée comme un phénomène naturel, une évidence, par tous les Asiatiques, quelle que soit leur confession, contrairement aux Européens.
C’est là une longue tradition qui remonte au XIIe siècle et à Dusum Khyenpa. Les livres anciens évoquent volontiers cette prédiction du Bouddha : « Un jour naîtra un homme de grande compassion qui, au long de ses incarnations, sera reconnu sous le nom de karmapa. » C’est en 1147 que Dusum Khyenpa créa la lignée Karma-Kagyu. On lui doit l’institutionnalisation de la réincarnation par le choix de son chef spirituel. Selon la chronique, après avoir passé trois longs hivers et trois étés sur un rocher où les dakinis, les messagères célestes, venaient le nourrir, le premier karmapa se rendit dans un endroit appelé Tsurphu, à l’ouest de Lhassa, où il prépara la construction du monastère qui allait devenir le siège des Karma-Kagyu. Dusum Khyenpa avait acquis le pouvoir de traverser les montagnes ; il guérissait les malades qu’il croisait sur son chemin, et redonnait la vue aux aveugles. Disciple de Gampopa [186] , médecin et médium de la région de Dakpo qui lui enseigna le Dharma, le premier karmapa promit de vivre jusqu’à quatre-vingt-quatre ans et de renaître dans un enfant. Peu avant sa disparition, en 1193, il laissa dans une lettre tous les détails pour trouver sa réincarnation. Cet enfant était apparenté à la famille du roi Trisong Detsen, le second des trois rois du Dharma qui fit du bouddhisme une religion d’Etat en 779. À l’âge de six ans, il retranscrivait des livres, alors que personne ne lui avait appris à écrire. À dix ans, il lui suffisait d’écouter les moines réciter un texte sacré pour le répéter immédiatement, sans la moindre faute. L’enfant eut pour maître le lama qui connaissait tous les détails de la prédiction du premier karmapa. Alors que le lama se trouvait en face de la réincarnation, la toute première de l’histoire du bouddhisme tibétain, il annonça alors à l’enfant : « Aujourd’hui, les dakinis se sont manifestées dans le ciel, semblables à un amoncellement de nuages. Tu es fortuné car tous les maîtres Karma-Kagyu et Dusum Khyenpa sont apparus. Tu es le deuxième karmapa et ton nom sera Karma Pakshi [187] !»
Or, le dalaï-lama est lui aussi un tulku. L’interprétation bouddhiste du concept de renaissances et de réincarnations est fondée principalement sur la notion de continuité de la conscience. Voici ce qu’en dit l’actuel dalaï-lama :
« Son interprétation est principalement fondée sur la notion de continuum de conscience. Prenons, par exemple le monde physique : nous considérons que l’on peut
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