L'histoire secrète des dalaï-lamas
Lungshar, puis, plus tard, Kunp’hela, le troisième favori du dalaï-lama, trouveront toujours sur leur chemin la petite trentaine de clans qui contrôlent les rouages de l’État, et qui s’opposent à toute modernisation du Tibet.
Une fois encore, les Tibétains n’auront pas la sagesse de s’unir. Les morts se compteront par centaines. Et il faut évoquer aussi la conjoncture peu favorable aux Tibétains en ces temps troublés. Car, il faut bien faire ce terrible constat, la politique entreprise dans les années 1920 par les trois favoris du treizième dalaï-lama vont malheureusement préfigurer l’un des chapitres les plus tragiques de l’histoire des dalaï-lamas au Tibet...
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De nouveaux guides
Parralèlement aux percées du nazisme au coeur du Tibet, il nous faut revenir sur la valse des réincarnations des tulkus. En effet, dès 1933, avec la disparition du treizième dalaï-lama Thubten Gyatso et un début de régence catastrophique de Reting Rinpoché, trois années se seront à peine écoulées que le Tibet est déjà en crise.
Comme le veut la coutume tibétaine, il appartient au panchen-lama de guider, de confirmer les recherches de sa réincarnation, puis de procéder à son intronisation. Il est assisté d’un régent, nommé par le kashag, le Cabinet ou conseil des ministres, composé de trois laïcs et de trois religieux, et par l’Assemblée nationale tibétaine.
Quelques jours à peine après la disparition du souverain tibétain, Reting Rinpoché, du monastère de Radeng, a été chargé de conduire les affaires de l’Etat et de mener, avec le panchen-lama, les recherches de sa réincarnation. À cet effet, trois groupes ont été désignés. L’un est dirigé par Kelsang Rinpoché, un lama du monastère de Séra, un des principaux monastères de l’école Gelug.
De renaissance en renaissance, les Tibétains cheminent dans le samsara, le cycle sans fin des existences. Seul moyen d’échapper à ce rite incontournable de la vie et de la mort, atteindre l’Eveil, un jour peut-être, en étant passé au préalable par de nombreuses autres vies, parfois sous de multiples formes. Pour y parvenir, le programme est à la hauteur de l’ambition : il faut prier, sans cesse prier, maintenir une attitude de compassion à l’égard des autres, respecter le règne de la nature et de l’esprit, développer l’humilité au quotidien, rejeter la vanité, savoir discerner le bien et le mal. Ils sont conscients aussi qu’on peut renaître indifféremment ami, ennemi, frère, soeur, mère, père dans ses prochaines vies... Chacun accepte cette notion de renaissance, telle quelle est imposée par la nature de leurs propres karmas et par les impressions psychiques laissées par les actions passées du corps, de la parole et de l’esprit. Si, quand survient la mort, un mode de pensée favorable prédomine, il s’ensuit une renaissance heureuse. Si l’on s’abandonne à des idées malsaines, on renaît dans un des trois niveaux inférieurs y correspondant, où une souffrance intense serait endurée.
La révélation
C’est le plein hiver 1936-1937. Kelsang Rinpoché et son groupe se sont installés au monastère de Chökorgyal, près du Lhamo-Latso, le lac des Visions, situé à une bonne centaine de kilomètres de Lhassa, un site sacré dont le deuxième dalaï-lama disait : « Cet endroit mystique et riche de pouvoirs semble toujours inspirer les mêmes sensations, en un flot perpétuel, à ceux dont l’esprit et la volonté sont purs [374] . »
Sur les berges du lac, les lamas ont entassé du bois pour tenir plusieurs jours.
Kelsang Rinpoché frissonne. Avant de s’absorber dans la méditation, les rituels et les offrandes qui les accompagnent, et les invocations à Tara, ses compagnons lui murmurent des mots d’encouragement. Chez les bouddhistes, la méditation comprend deux grandes étapes préliminaires : la pensée, la réflexion, la concentration forment la première ; l’intégration, l’éveil ou les visions, la seconde. La spontanéité dans la méditation s’acquiert avec la pratique ; elle réclame une parfaite maîtrise de l’esprit. Un maître peut, rappelons-le, méditer au gré des événements et improviser ainsi que le ferait un virtuose avec son instrument de musique.
La nuit est tombée, apportant avec elle son cortège de doutes et de peurs. Recroquevillé dans sa tchouba, ce vêtement tibétain que portent aussi bien les hommes que les
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