L'histoire secrète des dalaï-lamas
déchiffrées et interprétées par le régent et les dignitaires gelugpas : pour la lettre AH , l’est et le nord-est tibétain avaient été désignés par l’oracle d’Etat au cours de deux transes ; juste avant son embaumement, le treizième dalaï-lama avait tourné à deux reprises la tête dans ces directions ; la lettre KA indique, dans l’Amdo, le monastère de Kumbum ; la lettre MA correspond à Tashi Khyil, le monastère du quatrième karmapa [375] , qui domine le village de Taktser : le treizième dalaï-lama y avait séjourné un temps ; il y avait oublié une paire de bottes.
En ce mois de janvier 1937, Jyékundo, une des villes les plus prospères du Tibet oriental, se trouve à plusieurs semaines de la capitale. Dès le départ de Lhassa, Kelsang Rinpoché abandonne ses habits monacaux pour des vêtements bien chauds. La veille du départ, un de ses oncles lui a offert une khata, un peu de ses économies, un mousqueton, des munitions et le meilleur de ses chevaux. Puis, il le gratifie de conseils judicieux pour s’acquitter d’un tel voyage : il faut qu’il ait toujours l’oeil ouvert et qu’il se défie de ses compagnons comme de voleurs. La route de Lhassa à Jyékundo est l’une des plus rudes en plein hiver.
La confirmation
Par sécurité, Kelsang Rinpoché et ses hommes décident d’intégrer une caravane de marchands, qui se rend dans le Yunnan : une cinquantaine d’hommes et de femmes la compose, avec des yacks, des chevaux, des moutons, des chèvres et plusieurs dizaines d’ânes.
Kelsang et son groupe viennent tard dans la nuit au rendez-vous général, à vingt kilomètres de la capitale, le long de la Khyi-chu.
Dès la pointe du jour, Kelsang monte à cheval et n’en descendra que le soir, quand la caravane établira son campement sur le coup de quatre heures de l’après-midi. Avant que de partir, le lama, déguisé en marchand amdowa [*] , s’est pourvu de quelques provisions, des lamelles de yack et de fromage séchées qu’il peut mâchouiller comme un chewing-gum. C’est seulement le soir que l’on fait du feu. Les voyageurs peuvent alors chauffer du thé ou se faire une soupe de tsampa, l’orge grillé cher aux Tibétains, et de pois. Cependant, ce qui incommode le plus aux mois de janvier et de février, c’est la rareté du bois : les caravaniers se servent donc du crottin des chevaux et de la bouse de yacks desséchés, qu’ils amassent avec soin, dès que la caravane s’arrête.
Le chef de la caravane, qui connaît bien l’oncle de Kelsang, lui a recommandé de ne pas s’éloigner, car les moines brigands pullulent sur la route des caravaniers, et les bandits de grand chemin aussi. Faisant des incursions continuelles pour surprendre les plus imprudents, ils ne s’en prennent jamais au gros de la caravane et frappent à l’improviste... Si on est surpris, il ne faut pas s’attendre à ce que ceux qui sont les plus avancés reviennent sur leurs pas pour secourir ceux qui sont attaqués.
Jyékundo, février 1937. Kelsang Rinpoché s’assoit sur une grosse pierre, à l’entrée du monastère où vit le panchen-lama. Il scrute le ciel de nuage à nuage en égrenant son mala [*] , un rosaire qui appartenait à sa mère, et en récitant Om Mani Padme Hum, le mantra de Chenrézig, le bodhisattva de la compassion protecteur du Tibet, que – foi de Tibétains ! – tous les enfants savent prononcer dès la naissance.
Du temple principal lui parviennent les bruits des cymbales que les moines entrechoquent. Le son des trompes se mêle aux appels du lointain. Ici aussi, lamas, moines, pèlerins s’affairent pour préparer la nouvelle année tibétaine. Refuge du maître de Tashilhunpo depuis qu’il a pris le chemin de l’exil, ses appartements occupent le premier étage du monastère : une chambre, une salle de prières et une grande pièce emplie de reliques et d’oeuvres sacrées.
L’audience avec le panchen-lama a lieu à l’aube. La rencontre entre le maître de Tashilhunpo et le lama du monastère de Sera est un moment historique dans l’histoire du Tibet et celle des dalaï-lamas, car Choekyi Nyima a, lui aussi, eu la révélation divine : le treizième dalaï-lama est bel et bien revenu !
Le panchen-lama s’exprime d’une voix grave et basse. Il bégaie, comme tous ses prédécesseurs. Voici ses révélations : il n’y a pas un enfant, mais trois sont en concurrence. L’un de ces garçons est le quatorzième
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