L'histoire secrète des dalaï-lamas
dalaï-lama : il a deux ans à peine et vit à Taktser, un village amdowa. Puis, Choekyi Nyima confirme les visions du Lhamo-Latso : AH , la lettre suprême, désigne bien l’Amdo ; MA désigne le monastère du quatrième karmapa Relpi Dordjé, lequel surplombe Takster et la demeure au toit de couleur turquoise de l’enfant réincarné. Le panchen-lama se souvient d’ailleurs que le souverain tibétain y avait séjourné et oublié une paire de bottes. Non seulement, elle s’y trouve encore, mais les vieux lamas parleront certainement à Kelsang des longs moments que Thubten Gyatso a passé à observer la maison de Taktser, où il savait que renaîtrait son successeur ; enfin, la lettre KA , elle, désigne le monastère de Kumbum, le lieu de naissance de Tsong-khapa, en 1357, le fondateur de l’école Gelug, dont l’abbé n’est autre que le frère aîné du futur dalaï-lama, Thubten Jigme Norbu étant la première réincarnation de la famille et fils aîné de Dekyi Tsering [376] et de Choekyi Tsering [377] .
Une nouvelle étape va mener Kelsang de Jyékundo à Kumbum. Elle comporte le franchissement d’un col qui flirte avec les neiges éternelles. À mesure que les cavaliers montent, la neige devient plus épaisse et, dans certains bas-fonds, ils en ont jusqu’au-dessus des genoux. Ce sont les chevaux qui les guident. En plein hiver, rares sont les voyageurs dans ces montagnes. Cependant, des hommes, par petits groupes de trois, ont déjà passé le col à plus de cinq mille mètres d’altitude, en se livrant à de bien curieux exercices. Ce sont des porteurs de thé : ils transportent leur marchandise dans des ballots de bambou, de forme longue et plate, de manière qu’il est facile de les arrimer les uns sur les autres. Les ballots sont liés par des cordes que l’on serre fort en les tordant à l’aide d’une petite barre, comme la corde d’une scie, ne faisant plus qu’un bloc. Quand le porteur de thé se repose, ce qu’il fait tous les quatre-vingts à cent pas en si haute altitude, il pose à terre son bâton, qui a la forme d’un T. Il y appuie le bas de sa charge et, lui, reste debout, les jambes légèrement écartées. Pour eux, comme pour Kelsang Rinpoché et ses compagnons, une chute dans le col serait mortelle. Cette fois, il n’y aura pas de victime.
Alors qu’il vient d’indiquer le lieu de naissance du quatorzième dalaï-lama, le panchen-lama, épuisé par un interminable exil, plonge dans une lente agonie sous les yeux de ses proches qui lisent à son chevet l’entièreté du Bardo Thödol , le Livre des Morts tibétain, lui offrant reliques et substances sacrées, en espérant qu’un miracle s’accomplisse. Mais, Choekyi Nyima meurt en novembre 1937.
À Lhassa, la nouvelle est annoncée par de lugubres roulements de tambours. Le régent et le kashag dépêchent deux émissaires à Jyékundo pour proposer aux compagnons d’exil du panchen-lama de regagner Tashilhunpo avec le défunt et d’organiser des funérailles dignes de ce nom. Mais, nous le verrons, rien n’est simple dans l’histoire des dalaï-lamas et des panchen-lamas.
En cette fin d’année 1937 et pour une partie de l’année 1938, Reting Rinpoché, déjà affairé aux recherches visant à retrouver la réincarnation du treizième dalaï-lama, doit également s’occuper des investigations de la réincarnation du neuvième panchen-lama : dans la lignée gelugpa, les dalaï-lamas sont toujours associés aux panchen-lamas.
La triste mort du panchen-lama
Comme le veut la tradition, le kashag ordonne quarante-neuf jours de deuil. La mission des émissaires dépêchés par le gouverneur du Tibet oriental à Jyékundo au nom du gouvernement tibétain est double : présenter les condoléances du kashag et du régent Reting Rinpoché et presser le conseil des khenpos [*] , l’organe administratif du monastère de Tashilhunpo [378] , de regagner au plus vite le siège des panchen-lamas, près de Shigatsé. Malheureusement, les émissaires de Lhassa sèment la zizanie : deux groupes se déchirent une fois encore. Les plus jeunes des partisans de Choekyi Nyima refusent toute allégeance à Lhassa ; les plus anciens pensent qu’avec la disparition de leur maître, plus rien ne les rattache à la Chine de Tchang Kaï-shek. On se bat entre Tibétains, on s’entretue, les morts se comptent par centaines. Quelques têtes brûlées réussissent à quitter Jyékundo, emportant avec eux la
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