L'histoire secrète des dalaï-lamas
la répartition foncière. Au Tibet les terres appartiennent au gouvernement mais le fermage est héréditaire. Les paysans reçoivent un lot en contrepartie d’un bail et donnent une part de leur récolte au gouvernement, principalement destinée aux monastères ; les autres fournissent un travail. Cependant, certaines propriétés étaient devenues privées ou comme telles parce qu’octroyées de longue date à des familles de l’aristocratie tibétaine et à des monastères. La réforme foncière vise donc à rétablir ces propriétés privées en propriétés de l’État pour être redistribuées aux paysans.
Le dalaï-lama veut également régir les impôts locaux. Si l’État fixait le montant de la contribution de chacune des provinces, certaines autorités provinciales prélevaient des taxes supplémentaires. Désormais, pour limiter les excès, les autorités locales devront reverser à l’État le montant exact des sommes prélevées et percevront un salaire fixé par le gouvernement central.
Enfin, le système de prêt gouvernemental cherche à lutter contre les injustices. Le gouvernement prête de l’argent aux paysans en difficulté mais, constatant des abus conséquents, les paysans bénéficiaires de prêts ont été classés en trois catégories : ceux qui ne pouvaient rembourser ni le capital ni les intérêts, ceux dont le revenu annuel était insuffisant pour rembourser les intérêts, mais leur permettait de reverser le capital, et ceux qui, enrichis, pouvaient et devaient restituer capital et intérêts [381] .
Le dalaï-lama n’aura toutefois pas le temps de mettre son projet en oeuvre, les communistes imposant leur propre réforme agraire et l’instauration des communes populaires. Sept ans plus tard, en 1959, le souverain tibétain prendra le chemin de l’exil.
Le document qui accuse
Deux ans plus tard, en 1961, le dixième panchen-lama entreprend la rédaction d’un document d’abord intitulé « Rapport sur les souffrances du peuple du Tibet et des régions tibétaines et propositions pour le travail futur du Comité central sous la direction respectable du président ministre Zhou Enlai [382] ». Un texte en huit parties : la lutte pour écraser les rebelles, les réformes démocratiques, l’élevage et la production agricole, le travail du Front uni, le centralisme démocratique, la dictature du prolétariat, les questions religieuses et le travail pour les nationalités. Traduites en mandarin, les cent vingt pages de ce rapport comportent soixante-dix mille caractères, que le panchen-lama va présenter au Symposium sur le travail pour les nationalités, la grand-messe protocolaire où chaque participant vient jurer son attachement à l' union des cinq races , expression officielle désignant les Hans, les Mandchous, les Mongols, les Tibétains et les musulmans.
Le 18 mai 1962, Choekyi Gyaltsen remet donc ce document à Zhou Enlai :
« Acceptez, lui dit-il, ces Soixante-dix mille caractères dans l’esprit où ceux-ci ont été rédigés... »
Or, de fait, il s’agit d’un virulent réquisitoire contre la Chine communiste [383] . Choekyi Gyaltsen y dénonce entre autres les maladies nouvelles apportées par les colons chinois, les exploitations minières et l’industrialisation anarchique : des troubles cardio-vasculaires et respiratoires ainsi que de nombreux cancers. Sans compter la stérilisation des toutes jeunes Tibétaines et les avortements forcés. Le panchen-lama soulève aussi l’alcoolisation forcenée des Tibétains, opération savamment orchestrée par Pékin pour anesthésier les habitants du Toit du monde.
Mao Zedong ne décolère plus face au document. Les Chinois attendront cependant le nouvel an tibétain de 1964 pour mettre un terme aux revendications du maître de Tashilhunpo. À Lhassa, alors que les pèlerins se pressent devant Shungrilingka, la résidence privée de Choekyi Gyaltsen, de la terrasse ce dernier lance un soutien vibrant au quatorzième dalaï-lama, en exil depuis cinq ans déjà. Pékin interdit aussitôt les pèlerinages à Tashilhunpo et assigne le panchen-lama à résidence au 23 de la rue Dong Jiao Min, à Pékin, au premier étage d’un modeste bâtiment, à quelques pas à peine de l’Académie chinoise des sciences sociales.
En août 1964, le panchen-lama est traduit en justice. Avec lui, il y a son tuteur, des lamas du conseil des khenpos de Tashilhunpo, des simples moines aussi.
Le jour du
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