L'histoire secrète des dalaï-lamas
Pendant ce temps, son gouvernement travaille sur la base d’une Constitution provisoire dont le brouillon, rédigé en 1961, sera finalement adopté en 1963.
Un été à Missamari
Le camp de transit de Missamari, dans l’Assam, ouvert pour accueillir les premiers exilés tibétains, ce sont, ni plus ni moins, trois cents huttes en bambou. Pour y parvenir, les premières vagues de réfugiés empruntent l’itinéraire des caravaniers d’autrefois, avec le franchissement du Karpo La, dernier col avant la frontière. Les plus faibles ne se remettent pas.
À Missamari, au fil des semaines, le nombre d’exilés ne cesse d’augmenter. De plusieurs centaines au début, les Tibétains sont passés à deux, trois, peut-être quatre mille. Entre juin et septembre 1959, en pleine mousson, ils sont au moins sept mille. Missamari comptera d’ailleurs jusqu’à douze mille réfugiés. Des journalistes occidentaux y rôdent, comme autour de Buxa Duar, l’autre camp réservé aux tulkus situé à quelque distance. C’est par eux que les Tibétains apprendront que le Norbulingka, résidence d’été des dalaï-lamas, a été bombardé le 24 mars, et qu’à Lhassa il y a eu beaucoup de morts.
Les conditions de vie à Missamari et à Buxa Duar sont déplorables. Pas d’eau potable, ni nourriture ni médicaments. Parqués comme des bêtes, souffrant de la chaleur et de l’humidité, les exilés voient, avec la mousson, leur état de santé se dégrader. Les premières dysenteries apparaissent, la malaria frappe, le choléra aussi. Les morts se comptent par centaines. Les corps, jetés dans des fosses communes, sont brûlés.
À Missamari, les bûchers ne s’éteignent jamais. Cependant, Gyalo Thondup et Diki Dolkar, le frère du dalaï-lama et son épouse chinoise, se démènent. Grâce à leur centre d’aide et d’assistance, Gyalo recrute pour la résistance ; Diki, elle, cherche de l’aide pour les réfugiés. Pendant ce temps, les avions de l’armée indienne larguent des caisses de vêtements, de vivres et de médicaments au-dessus des deux camps.
À Missamari, dans l’Assam, se répand aussi un parfum de scandale. En 1951, rappelons-nous, Tenzin Gyatso, une partie de sa famille, ses tuteurs et ses deux Premiers ministres se réfugièrent dans le monastère de Drungkar, près de Yatung. Le dalaï-lama avait seize ans et venait de prendre en mains les destinées de son peuple et de son pays. Fuyant Lhassa, les Yapshis avaient confié à Heinrich Harrer et à la résistance tibétaine le soin de transporter une partie du Trésor de l’État. Lequel permettait largement de financer les premières structures gouvernementales tibétaines en exil. Or le Chushi Gangdrug avait confié l’or, l’argent, la monnaie à trois hommes de confiance. Que les Pandatsang, connus pour être d’excellents gestionnaires, furent chargés par la suite de récupérer. Non sans mal ! En 1962, les trois gardiens du trésor s’y opposent, contactent Gyalo Thondup à Kalimpong. Le frère du dalaï-lama prend les affaires en mains et confie à son tour le trésor à des hommes sûrs. Comme les réfugiés arrivent de plus en plus nombreux à Dharamsala, où il vient de s’installer, le souverain tibétain décide à la même époque de puiser dans le trésor de Missamari pour aider les premiers exilés, au moins quatre-vingt mille personnes. Seulement les fonds ont disparu, placés – mal ? – à la Bourse de Bombay et de Calcutta [455] .
Le coup d’éclat
Automne 1962. Alors que les résistants du Chushi Gangdrug ont récupéré les armes parachutées, – des fusils Lee Enfield, des mitraillettes Bren LMG, plusieurs lots de grenades et de munitions de 303, aussitôt transportés dans les environs de Lhoka –, Gompo Tashi décide de prendre la tête d’une vingtaine d’hommes fraîchement arrivés du Colorado et de les mettre à l’épreuve.
Dès que la pénombre tombe, le groupe se dirige en file indienne vers le sud-ouest où les Chinois ont installé une base militaire dans une vallée distante d’environ trois semaines de marche. Or, chaque jour, à peu près à la même heure, un convoi quitte ce camp pour une destination inconnue, et passe dans une gorge qui se prête parfaitement à une opération de guérilla.
Tous brûlent d’en découdre. Mais, comme il arrive souvent dans cette région du monde que la nature dicte ses propres volontés, alors qu’ils se trouvent à flanc de montagne,
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