L'homme au ventre de plomb
et posant sur la
table une tourtière odorante.
– Tu dois
avoir faim. J'ai du pâté froid et une bouteille d'irancy
que monsieur a légèrement tutoyée à son
souber. Il a mangé de fort bon abbétit.
Nicolas s'attabla
pour un de ces médianoches solides et savoureux dont Catherine
tenait le secret de ses origines alsaciennes. La croûte dorée
du pâté était encore tiède et un fumet de
vin rouge et de laurier lui fit venir l'eau à la bouche. Elle
le considérait avec appréhension, guettant ses moindres
réactions. La viande moelleuse fondait sous la dent.
– Tu m'avais
caché ce plat, Catherine ! Quel délice, c'est de chez
toi ?
– Non bas,
c'est la tourte. La viande est hachée et marinée au vin
blanc. Ce plat-là , c'est champenois. Tu coupes du borc et du
veau, et surtout tu ajoutes de la gorge pour le fondant. Tu fais
tremper dans un bon vin rouge avec des épices, du sel, du
poivre, deux jours, bas blus. Tu fais ta bâte. Tu ébonges
ta viande. Tu étales le fond dans la tourtière avec la
viande dessus, et tu couvres avec un rond de bâte doré Ã
l'Å“uf. Tu tiens au four deux bonnes heures. C'est meilleur
tiède ou froid. On peut le faire aussi avec du labin sans
désosser. Chez moi, on tirait au sort qui aurait la tête.
Yo yo, c'était comme ça !
Nicolas, rassasié,
regardait Catherine éteindre le potager et serrer les restes
du repas dans le buffet. Il lui sourit avec reconnaissance et lui
souhaita le bonsoir. Il gagna sa chambre où, tout habillé,
il s'allongea sur son lit pour sombrer aussitôt dans le
sommeil.
Chapitre III
Le puits des
morts
« Les
malheurs sont souvent enchaînés l'un à l'autre. »
Racine
Mercredi 24
octobre 1761
Un grattement
éveilla Nicolas. Il comprit, après avoir consulté
sa montre, que Catherine venait de déposer un broc d'eau
chaude devant la porte de sa chambre. Depuis son entrée en
service chez M. de Noblecourt, elle avait pris cette habitude. Sans
doute avait-elle décidé de son propre chef de lui
octroyer un petit supplément de sommeil. Sept heures avaient
déjà sonné. Depuis sa prime jeunesse, été
comme hiver, il se levait à six heures ; enfant, il servait la
messe du chanoine, son tuteur, mal réveillé dans le
froid humide de la collégiale de Guérande. Il constata,
amusé, qu'il avait dormi tout habillé. Par chance, sa
garde-robe s'était considérablement accrue depuis son
arrivée à Paris. Maître Vachon, son tailleur et
celui de M. de Sartine, y avait pourvu. Il se souvint avec
attendrissement de cet habit vert, un laissé-pour-compte,
porté à Versailles lors de sa présentation au
roi.
Il se sentit
dispos et l'esprit libre jusqu'au moment où la chaîne
des événements de la veille lui remonta en mémoire.
Le bonheur du matin - si rare - laissa la place aux préoccupations
et aux dispositions du chasseur qui s'apprête à se
mettre en quête. Il aperçut son tricorne à terre.
Heureusement, il ne s'était pas couché avec ; cela
portait malheur disait-on. Cette remarque fugitive eut un écho
lointain dans ses souvenirs, mais il ne réussit pas Ã
la raccrocher à quelque chose de tangible. Torse nu, il
s'activait à une énergique toilette avec une eau déjÃ
froide. L'été, il usait de la pompe placée dans
la cour de l'hôtel et s'ébrouait dans de grands
éclaboussements, mais l'automne pointait déjÃ
avec ses froidures matinales. Il se remémora ce qu'il avait Ã
faire.
En premier lieu,
il devait se rendre à l'hôtel de police et faire Ã
Sartine un récit exact de ce qui était advenu après
son départ la veille au soir. Peut-être son chef
aurait-il, de son côté, quelques lumières sur la
manière dont, en haut lieu, on envisageait le traitement de
cette affaire. Il n'était même pas exclu qu'on ne la
voulût point traiter du tout. Il fallait s'attendre Ã
affronter un lieutenant de police de fort méchante humeur.
Il s'empresserait
ensuite de retourner au Châtelet. Il maugréa Ã
part lui sur le peu de commodité de la dispersion de ces lieux
de haute police, situation qu'il jugeait peu propice Ã
l'exécution rapide des tâches. L'inspecteur Bourdeau
serait dépêché à Grenelle afin de revoir
d'un
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