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L'homme au ventre de plomb

L'homme au ventre de plomb

Titel: L'homme au ventre de plomb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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levé
par le roi lui-même, et présentait les armes des
Ranreuil. Il n'avait pas voulu reprendre le titre auquel il avait
droit, mais conservait ce souvenir de son parrain qu'il n'osait
appeler son père que dans le secret de son cœur. Au-delà
de la tombe, cette chevalière était pour lui comme un
lien. Enfant, cent fois, il avait admiré le blason patiné
par les ans, qui désormais était le sien. L'œil
étincelant et la bouche mauvaise, le vieil homme reprit, en
désignant la bague.

    â€“ Comment
osez-vous parler d'honneur, vous qui vous parez des armes d'un
Ranreuil ? Oui, j'ai encore assez bonne vue pour reconnaître le
blason d'un gentilhomme qui servit avec moi, et j'ai encore assez de
cœur pour m'indigner de voir un sicaire s'oublier de la sorte.

    â€“ Monsieur
le comte, du marquis de Ranreuil, je tiens le sang et les chevrons,
et je vous conseille de mesurer vos propos.

    Nicolas n'avait pu
se maîtriser. C'était bien la première fois qu'il
faisait état d'une naissance dont il avait souhaité
écarter le privilège.

    â€“ Ainsi le
fruit du péché se complaît dans des occupations
abjectes. Qu'importe, d'ailleurs, c'est la folie du temps ! Un siècle
où les fils se dressent contre les pères, où
l'aspiration au bien conduit à se vautrer dans le mal, un mal
qui est partout, au plus haut, au plus bas...

    Le visage du comte
de Ruissec était l'image livide de la haine, il porta la main
à son front. Nicolas remarqua les ongles recourbés et
striés. Le vieil homme lui montra la porte de la main.

    â€“ Il suffit,
monsieur. Je constate que, digne serviteur de Sartine, vous ne
répondez ni aux souhaits d'un père, ni au respect que
ma position devrait vous inspirer. Sortez. Je sais ce qu'il me reste
à faire.

    Il se retourna
faisant face au trompe-l'Å“il, et Nicolas crut un moment le voir
s'y fondre et s'éloigner dans le parc figuré.
L'impression fut encore renforcée lorsque le comte, s'appuyant
à la muraille, plaqua les mains sur l'une des rampes de
marbre.

    Rien ne retenait
plus Nicolas en ces lieux où, désormais, seul le
chagrin avait sa place. Ses pas résonnèrent sur les
dalles du vestibule, puis l'air frais de la cour le surprit avec son
odeur de poussière et de pourriture végétale. Un
petit vent s'était levé qui faisait tournoyer en
sarabande les feuilles mortes sur le pavé. Il rejoignit le
fiacre sans doute envoyé par M. de Sartine. Le cheval de
Bourdeau était attaché par un licol à l'arrière
de la voiture. Sous la lueur de la lanterne, le profil renversé
de l'inspecteur se découpait, la bouche ouverte, abandonné
au sommeil. Au moment de prendre place, Nicolas, comme si quelque
chose le retenait, se retourna et leva la tête. Au premier
étage de l'hôtel, la silhouette d'une femme tenant un
bougeoir apparaissait derrière l'une des croisées. Il
sentit son regard peser sur lui. Dans le même instant, une toux
discrète appela son attention. Sans un mot, Picard lui glissa
un petit pli carré dans la main. Quand son regard se reporta
vers l'étage, Nicolas crut avoir rêvé ;
l'apparition avait disparu. Troublé, il monta dans le fiacre
dont les ressorts grincèrent sous l'effet de son poids. Le
cocher fit claquer son fouet et l'équipage quitta à
grand bruit la cour de l'hôtel de Ruissec.

    Nicolas serrait le
pli dans sa main et résistait à l'envie d'en prendre
aussitôt connaissance. Auprès de lui, Bourdeau endormi
oscillait au gré des cahots. Le chemin récemment tracé
et empierré traversait une campagne à demi détruite
où se devinaient terrains vagues, chantiers et jardins.
Nicolas s'interrogeait sur ce qui avait pu pousser le comte de
Ruissec à acquérir cet hôtel neuf dans cet
endroit isolé. Était-ce la modicité d'une vente
effectuée par voie de justice pour payer les dettes d'un
partisan failli, ou tout autre raison ? Peut-être l'explication
la plus simple résidait-elle dans la proximité de la
route de Versailles. Elle convenait à la situation d'un
courtisan appelé par ses fonctions à se partager entre
la ville et la Cour, à n'être jamais tout à fait
éloigné ni de l'une ni de l'autre et, sans doute aussi,
pour un vieil homme, comme l'avait suggéré Picard, à
jouir, après des années

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