L'homme au ventre de plomb
gousset, au côté de sa montre, lui
revint à l'esprit. Que signifiait cette intervention de M. de
Ruissec ? D'évidence, il avait tiré Truche de La Chaux
d'un fort mauvais pas. Nicolas était bien placé pour
connaître la nature profonde du garde du corps et continuer sa
culpabilité dans cette affaire. Il n'y avait pas de doutes sur
sa malhonnêteté. Alors ? Comment avait-il convaincu le
comte de Ruissec de son innocence ? Ou plutôt, pour quelles
raisons indicibles celui-ci ne l'avait-il pas dénoncé,
préférant le couvrir de son autorité ?
Nicolas revit le
visage ridé et malicieux de M. de Noblecourt avec son
obsession « de la dame des deux côtés ».
Il se rappela soudain la suite de leur conversation : la dame,
c'était aussi Mme de Pompadour. Tout s'agençait autour
de cette bague dérobée à Madame Adélaïde.
La favorite, comme le comte de Ruissec, connaissait donc Truche de La
Chaux. Sa présence à Choisy n'était pas
fortuite, Nicolas en était de plus en plus convaincu.
D'ailleurs, le garde du corps interrogé ne dissimulait pas,
avec une certaine insolence, s'être trouvé au château
de la Pompadour le jour de l'assassinat du vicomte de Ruissec. Il
laissait ainsi entendre que la favorite pourrait éventuellement
témoigner de sa présence à Choisy. Ainsi,
songea-t-il, rien n'était rapiéçable dans ce
ramas d'informations sauf à parvenir à élucider
les relations entre Mme de Pompadour et Truche de La Chaux...
Gaspard attendait
patiemment que la réflexion de Nicolas s'achevât. Au
bout d'un moment, et constatant que rien ne venait, il lui demanda
s'il pouvait lui être encore de quelque utilité. Nicolas
lui répondit que, pour l'heure, son plus grand désir
serait de rencontrer M. de La Borde, auquel il avait Ã
présenter une requête. Rien n'était plus facile,
lui dit le garçon bleu. Le premier valet de chambre reprenait
son service en quartier le lendemain ; il devait être Ã
cette heure dans son appartement, s'étant couché fort
tard - ou plutôt fort tôt. Cette précision fut
accompagnée d'un clin d'œil. Le respect n'étouffait
pas le drôle, mais c'était l'un de ses charmes et le
prix à payer de sa fidélité.
L'accueil de M. de
La Borde fut des plus chaleureux. Il fit aussitôt toilette,
pria Nicolas de l'attendre et disparut, précédé
de Gaspard. Il revint assez vite. La marquise, voulant profiter du
temps éclatant, venait de partir se promener dans le
labyrinthe du parc. Elle y retrouverait Nicolas dans le dédale,
et des instructions seraient données pour qu'on le conduisit
aussitôt auprès d'elle. Le lieu n'était pas très
éloigné. Il suffisait de rejoindre la terrasse du
palais devant les jardins, de traverser le parterre du Midi en
direction de l'Orangerie et d'obliquer sur la droite.
Quand il arriva au
labyrinthe, Nicolas, qui ne connaissait pas l'endroit, fut frappé
par son étrange beauté. Deux statues représentant
Ésope et l'Amour se faisaient face sur des piédestaux
de pierres colorées et de galets lavés. Une immense
fontaine, surmontée d'un rideau de treillage en forme de
coupole sur piliers, mettait en scène un ballet aérien
d'une infinité d'oiseaux représentés au naturel.
Ces figurines de plomb étaient agrémentées des
couleurs des différentes espèces. La statue d'un
grand-duc, plantée, sévère, au milieu d'une
pièce d'eau, dominait la scène.
Un valet
l'attendait portant la livrée de la favorite. Il lui expliqua
en pontifiant que le labyrinthe, composé par Le Nôtre,
comportait trente-neuf fontaines à thèmes animaliers,
inspirées des fables d'Esope mises en vers par M. de La
Fontaine. Il lui recommanda de passer successivement devant les Coqs
et la Perdrix, et la Poule et les Poussins; il finirait par atteindre
l'ouverture d'un des dédales. Près d'un bassin central,
il était attendu.
Sur place, il vit
en effet une femme immobile. Elle lui tournait le dos. La masse de
tissus paraissait d'une énorme épaisseur, mais la mode
était ainsi qu'elle favorisait l'ampleur du chiffonné
et du confus. Pour sa part Nicolas trouvait que la forme du corps
féminin y perdait ses avantages. Il semblait que l'ajustement
des femmes n'avait d'autre objet que de montrer
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