L'homme au ventre de plomb
combien de pièces
et de morceaux pouvaient être réunis ensemble pour
constituer un habit. La dimension du panier ajoutait encore au
caractère enflé de l'ensemble. Il douta un moment
d'être en présence de la marquise de Pompadour. Au bruit
de ses pas sur le gravier, elle se retourna et il la reconnut. Une
cape de satin vert foncé laissait apparaître un corps de
robe vert bouteille brodé de fils d'argent, garni de chenille
et de mèches « sourcils de hannetons »,
dont la favorite avait lancé la mode. Des fleurettes de soie
surbrodées donnaient un relief étonnant Ã
l'ensemble. Une légère gaze de mousseline tombait de la
capuche et voilait discrètement le visage de la marquise.
– Je vois,
monsieur Le Floch, que vous n'avez pas hésité Ã
suivre mon conseil. Vous souhaitiez me parler, me voici.
– Madame,
pardonnez une intrusion que j'aurais voulu éviter, mais l'état
de l'enquête imposait que je vous rende compte.
– Que vous
m'informiez, monsieur, que vous m'informiez...
– Il se
trouve que j'avance, madame. Une solution est en vue, mais je dois
encore replacer certains détails dans un ensemble cohérent,
un peu comme ces cartes géographiques découpées
dont les morceaux séparés sont offerts aux enfants, en
jeu de patience, afin qu'ils les reconstituent.
Elle releva sa
mousseline. Ses yeux étaient étrangement froids et sans
une ombre de bienveillance. Son visage était fatigué.
– Quelque
difficulté que vous trouviez, je ne doute pas du succès.
Vous mettez en usage l'esprit de suite dont vous avez déjÃ
fait preuve dans d'autres circonstances et, ce faisant, vous
contribuez pour beaucoup à ma tranquillité.
C'étaient
là propos sans conséquence. Nicolas sortit de sa poche
la bague de Madame Adélaïde et la tendit à la
marquise. Elle la considéra sans la prendre.
– Bel objet.
Comme Nicolas ne
disait rien, elle reprit d'un ton plus rapide.
– De quoi
s'agit-il ? D'une offre d'achat ! Je ne porte pas de bague.
– Non,
madame. Il s'agit d'une question.
Elle rabattit sa
mousseline et fit quelques pas de côté, l'air excédé.
– Madame,
j'insiste. Pardonnez mon audace. Avez-vous déjà vu
cette bague ?
Elle paraissait
réfléchir puis, insensiblement, se détendit et
se mit à rire.
– Vous êtes
un rude bretteur, monsieur Le Floch. Lorsqu'on vous jette sur une
trace, on ne peut guère espérer qu'un détail
vous échappe.
– A votre
service, madame, et à celui de Sa Majesté.
– Eh bien,
puisqu'il faut tout avouer je puis bien vous dire que je connais ce
bijou. Il sort de la cassette du roi. Il me l'avait montré, il
y a quelques années, quand il en fit présent Ã
sa fille aînée.
– C'est
tout, madame ?
Elle écrasait
le gravier avec un de ses pieds sous son falbala.
– Qu'y
aurait-il de plus, monsieur ?
– Que
sais-je, madame ? Auriez-vous revu ce bijou depuis que Sa Majesté
vous l'a montré ?
Elle ne maîtrisa
pas un geste d'impatience.
– Vous
m'excédez, monsieur Le Floch. Vous souhaitez lire dans mes
pensées ?
– Non,
madame, je m'évertue pour éviter qu'un malhonnête
homme ne vous compromette, comme il a d'ailleurs déjÃ
commencée à le faire. Pour le moment, moi seul l'ai
percé à jour et nul n'en sait rien.
– Me
compromettre ? Moi ! Monsieur, vous vous oubliez. De qui voulez-vous
parler ?
– D'un homme
que j'ai croisé à l'entrée de votre château
de Choisy. D'un homme qui, de toute apparence, a volé cette
bague. chez Madame Adélaïde. D'un homme qui paraît
avoir partie liée avec des ennemis du roi et les vôtres,
madame. D'un homme, enfin, qui pousse l'audace jusqu'Ã mettre
en avant votre nom afin de se constituer un alibi dans une affaire
criminelle ! Voilà , madame, ce qui m'autorise à ne rien
oublier de vos bienfaits et à tout faire pour m'en rendre
digne.
Il avait
l'impression d'avoir peu à peu haussé le ton, mais dans
le même élan, son propos s'était enveloppé
d'une chaleur persuasive à laquelle elle ne pouvait rester
insensible. En tout cas, après cette sortie, il n'y avait plus
d'échappatoire possible. Elle fit aussitôt contre
mauvaise fortune
Weitere Kostenlose Bücher