L'homme au ventre de plomb
à ses desseins. Il
sortit de sa poche le petit instrument dont il usait avec dextérité
et ne fut pas long à faire jouer la serrure. La porte s'ouvrit
en grinçant, après qu'il l'eut débloquée
d'un coup d'épaule mesuré, entraînant avec elle
une épaisse toile d'araignée qui lui tomba sur la tête.
Il s'ébroua, frémissant. Cet accès n'avait pas
dû être utilisé depuis longtemps.
L'office aussi
paraissait abandonné, avec ses tomettes disjointes qui
basculaient sous les pieds. Les vitres sales laissaient entrer un
jour diffus. Il tomba sur un couloir. Le reste de la maison était
à l'avenant. Il visita le salon où il avait interrogé
la fiancée du vicomte de Ruissec. Les meubles étaient
vides ; dans leurs intérieurs moisis. croupissaient toutes
sortes de bêtes rampantes. Il découvrit une chambre en
meilleur état. Le matelas était plié sur
l'alcôve. Sur un guéridon traînaient une cafetière
et une tasse. Il les examina. Dans l'armoire, il trouva des draps
blanc écru, sans broderies ni initiales. Deux corps de robe
étaient pendus, défroques tristes et surannées
aux couleurs éteintes. Du tiroir d'une commode surgirent trois
perruques de nuances différentes, de bonne facture. Il les
respira longtemps. Puis il considéra avec intérêt
trois paires de chaussures dont la taille l'intrigua. Il nota ces
détails dans son calepin noir. La maison lui avait offert tout
ce qu'elle pouvait lui donner. Il remit tout en place, referma
soigneusement la serrure et regagna sa voiture. Sur son pas de porte,
la vieille reparut ricanante et lui tira la langue.
Finalement, tout
se déroula comme il l'avait envisagé. Il ne fut pas
long à retrouver Gaspard dont l'activité principale
semblait consister en la surveillance curieuse des lieux et des
arrivants.
Grâce Ã
l'un de ses semblables, le garçon bleu possédait ses
entrées dans les appartements de Madame Adélaïde,
proches de ceux du roi. Après avoir fait attendre un long
moment Nicolas dans la cour de Marbre, il vint le chercher pour le
mener jusqu'à une petite pièce éclairée
par une fenêtre ronde, qui donnait sur les arrières des
pièces de réception. Un homme sans âge et tout de
noir vêtu attendait Nicolas. Il se présenta comme
l'intendant de la princesse et ne parut pas étonné de
découvrir un si jeune commissaire de police. MadamAdélaïde
avait visiblement prévenu son serviteur de la démarche
de Nicolas et lui avait donné toutes instructions et licence
de répondre à ses questions dans l'affaire des bijoux
dérobés. Son interlocuteur ne regardait pas Nicolas en
face, et celui-ci s'aperçut qu'il était observé
de biais grâce à son reflet dans un trumeau.
– Monsieur,
commença-t-il, Son Altesse royale a dû vous indiquer les
renseignements dont j'ai le plus urgent besoin pour mener Ã
bien la mission qu'elle m'a confiée.
Sans répondre,
l'homme sortit de sa poche deux feuilles de papier plié
reliées par un ruban bleu pâle et les lui tendit.
Nicolas y jeta un coup d'œil : c'était la liste des
bijoux volés. Ils étaient décrits avec une
infinité de détails et, en regard de chaque
inscription, on pouvait admirer des croquis avec rehauts de gouache
du plus bel effet. Il y reconnut aussitôt la bague à la
fleur de lys sur champ de turquoises. L'intendant se tordait les
mains, l'air gêné. Nicolas eut le sentiment qu'il
souhaitait lui confier quelque chose, mais qu'il ne parvenait pas Ã
se déterminer. Il décida de le brusquer un peu.
– Vous
voulez sans doute ajouter quelque chose ? J'ai dans l'idée
qu'un secret vous pèse.
L'homme le
regarda, égaré. Il ouvrit plusieurs fois la bouche
avant de répondre.
– Monsieur,
il me faut vous confier quelque chose. Mais comprenez bien que je
n'ai pu le faire auparavant. Quelle que soit la confiance dont
m'honore la princesse, il est des bornes que je ne me permettrais
jamais de franchir. Il faut savoir rester à sa place. Mais
j'ai également le sentiment de dissimuler un fait d'importance
qui pourrait ne pas être sans conséquence dans l'enquête
que vous menez, monsieur le commissaire.
Nicolas lui fit
signe de continuer.
– Monsieur,
je nourris des soupçons. Un homme qui a ses ouvertures
Weitere Kostenlose Bücher