L'homme au ventre de plomb
aguets, il écouta :
– Direz-vous,
à la fin, à un mourant ce que tout cela signifie ?
Nicolas reconnut
la voix du comte de Ruissec. Une sorte de râle crépitant
coupait chacun de ses propos. Par quel mystère se trouvait-il
là , alors qu'il était censé accompagner le
convoi de sa femme et de son fils ?
Une autre voix
s'éleva.
– J'ai
attendu ce moment bien longtemps. Vous voilà enfin à ma
merci. Après le fils, l'épouse, voici le père et
le mari...
– Mais
quelle traîtrise est-ce là ? Notre but n'était-il
pas commun ?
La seconde voix
murmura quelque chose que Nicolas ne parvint pas à saisir. Le
comte de Ruissec poussa un grand cri. Nicolas s'apprêtait Ã
bondir pour ouvrir la seconde porte, il avait déjà la
main sur la poignée de son épée, quand un choc
violent le frappa derrière la tête. Il s'effondra,
assommé.
La voix de
Bourdeau s'élevait, claire et distincte, mais elle lui
paraissait irréelle. Ses mains s'agitaient et s'accrochèrent
à de l'herbe. Ce contact, et l'odeur de la végétation,
le ramenèrent aussitôt à la réalité.
– Le voilÃ
qui revient, docteur.
Nicolas ouvrit les
yeux et vit l'inspecteur et Semacgus penchés sur lui, qui
l'observaient avec inquiétude.
– Le
gaillard est solide et ce n'est pas la première fois qu'on
l'assomme. Ni la dernière, sans doute. Dure tête de
Breton.
– Cela lui
apprendra d'être aussi imprudent, renchérit Bourdeau.
Nicolas se
redressa. Une petite flamme claire dansait devant ses yeux. Il tâta
sa nuque, et sentit sous ses doigts une bosse de la taille d'un Å“uf
de pigeon.
– Ne
vont-ils pas m'assommer à nouveau tous les deux en m'abreuvant
de leurs commentaires ? Fit-il. Comment êtes-vous là , et
que s'est-il passé ?
Bourdeau hocha la
tête, l'air satisfait.
– Dieu soit
loué, le voilà qui grogne ! M. de Sartine, qui tient Ã
vous plus qu'il ne vous le dit, m'avait ordonné de ne vous
plus quitter. Nous vous avons donc suivi, le docteur et moi, jusqu'Ã
cette maison. Au moment où nous entrions, nous vous avons
trouvé sans connaissance dans ce méchant couloir. Deux
personnes se sont enfuies à cheval. Nous étions fous
d'inquiétude, ayant pataugé dans le sang.
Il montra ses
souliers souillés.
– Dieu soit
loué, vous êtes sauf ! J'ai demandé au docteur de
vous emmener dehors, et j'ai fait l'inspec- tion des lieux. Derrière
la porte où vous vous trouviez, j'ai découvert le corps
du comte de Ruissec, proprement tué d'un coup de pistolet. Il
avait l'épée à la main, mais aucune chance ne
lui avait été laissée : arme blanche contre arme
à feu. Toutefois, le combat a dû commencer dans
l'atelier et son adversaire l'a traîné dans la pièce
de derrière. Il apparaît qu'avant de succomber, il
aurait blessé son agresseur. Des traces de sang conduisaient
dans le potager où des chevaux; attendaient.
– Rien
d'autre ? dit Nicolas qui réfléchissait, enregistrant
toutes ces nouvelles.
– Qui peut
vous avoir agressé ?
– Ce n'était
pas l'homme que j 'ai entendu parler au comte de Ruissec, j'en suis
sûr.
– Donc, il y
avait trois personnes ici : le comte, son agresseur, et celui qui
vous a frappé.
– Mais il y
a plus grave, renchérit Bourdeau.
Il agitait une
liasse de papiers.
– Dans une
soupente, j 'ai trouvé un vieux coffre. Il contenait des
documents impressionnants en nombre, que seule l'urgence de la fuite
a fait négliger d'emporter : de nouveaux plans du château,
encore plus précis que ceux découverts Ã
Grenelle, des libelles contre le roi et la Pompadour, et un projet de
manifeste annonçant la mort du « tyran Louis XV ».
– Voilà ,
dit Nicolas, qui confirme l'hypothèse d'une conspiration.
Les trois amis
entreprirent de fouiller l'atelier de fond en comble. Ils procédèrent
avec méthode, examinant chaque outil et chaque recoin du
capharnaüm. La présence de plusieurs entonnoirs au fond
desquels brillaient encore des traces de métal fondu
n'établissait pas la preuve que le vicomte de Ruissec avait
été assassiné dans ce lieu retiré : ils
pouvaient être les instruments habituels du travail du
fontenier.
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