L'homme au ventre de plomb
Mais, dans les circonstances présentes, leur
existence constituait néanmoins une présomption. Une
espèce de litière de cuir munie d'anneaux de métal
à ses quatre extrémités rappela à Nicolas
les matelas immondes sur lesquels les aides de Sanson couchaient
leurs patients lors des séances de question au Châtelet.
Certes, rien de tout cela n'était absolument probant, et
Nicolas ne pouvait pas s'abandonner à son imagination, mais il
y avait là matière à s'interroger.
Le docteur
Semacgus examina le corps du comte de Ruissec. La blessure Ã
hauteur du cœur provenait bien d'un coup de pistolet. La
quantité du sang répandu correspondait Ã
l'impact d'une balle qui avait sectionné de gros vaisseaux Ã
la racine des poumons ou dans les abords de l'organe noble. Restait Ã
déterminer qui, de la victime ou de son meurtrier, avait été
l'agresseur, et pourquoi. Nicolas, ayant fouillé les poches du
cadavre, n'y trouva rien de particulier.
La nature des
papiers découverts, songeait Nicolas, était Ã
rapprocher des volumes de casuistique sur le tyrannicide de la
bibliothèque du vicomte de Ruissec. Elle incitait Ã
redouter des tentatives contre la vie même du roi. Que venait
faire le comte de Ruissec dans cet endroit ? Sans nul doute, il avait
faussé compagnie au convoi funèbre qu'il était
censé accompagner pour revenir à bride abattue Ã
Versailles. Mais était-il complice ou victime ? Ou vengeur ?
Sa mort était-elle la conséquence d'un règlement
de comptes entre complices ?
Il était
trop tôt pour répondre à ces questions. Dans
l'immédiat, Nicolas rassemble les documents les plus éloquents
et, après un dernier coup d'œil à la dépouille
du comte, il quitta l'atelier après avoir demandé Ã
Bourdeau et Semacgus de veiller à ce que nul n'y pénétrât.
Il était
trois heures après midi quand il regagna le château. Il
se dirigea tout aussitôt vers l'aile des Ministres et demanda Ã
être reçu par M. de Saint-Florentin. Il fut rapidement
introduit. Le ministre l'écouta sans l'interrompre, tout en
taillant avec soin une plume à l'aide d'un petit canif
d'argent. Nicolas, à son habitude, s'évertua Ã
être clair et concis, décrivant sans fioritures et se
gardant de lancer des hypothèses non étayées. Il
suggéra prudemment que le corps du comte de Ruissec fût
enlevé dans le plus grand secret par des exempts du roi pour
être porté à la Basse-Geôle. La nouvelle du
meurtre devait absolument être tenue secrète.
D'ailleurs, personne ne se préoccuperait d'un homme supposé
courir les routes du royaume derrière un corbillard. Si le
comte avait quitté le convoi, il était vraisemblable
qu'il avait donné de bonnes raisons ; ses gens ne
s'inquiéteraient donc pas tout de suite de son absence
prolongée et ne donneraient pas l'alerte, si toutefois ils le
faisaient, avant plusieurs jours.
Une fois réglée
la question du corps, Nicolas demanda au ministre de lui octroyer une
semaine pour achever des investigations déjà bien
entamées. Il se disait assuré d'être en mesure de
dévoiler la vérité à l'issue de ce délai.
Enfin, il s'autorisa à suggérer qu'on renforce les
mesures destinées à assurer la sûreté du
château et la protection du roi.
M. de
Saint-Florentin sortit de son silence pour donner sobrement son aval
aux propositions qui venaient de lui être soumises. Lui aussi
était d'avis de garder le secret sur ce nouvel épisode.
Cela donnerait à la police le temps d'opérer, et au
commissaire Le Floch le loisir de parfaire son travail. Devant
recevoir dans la soirée M. de Sartine, il lui communiquerait
les dernières informations et l'état de l'enquête
menée par son adjoint dont il se disait « pleinement,
pleinement » satisfait.
En outre, le
ministre allait de ce pas écrire aux intendants des provinces
afin de lancer un avis de recherche concernant Le Peautre en
indiquant qu'il était sans doute accompagné d'un enfant
sourd et muet. Enfin, pour redoubler les précautions, tous les
ateliers, de fonteniers ou autres, indûment installés
dans les recoins du grand parc seraient recensés. Il
conviendrait de presser tout ce monde, de procéder aux
vérifications
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