L'homme au ventre de plomb
frappèrent. Les
bottes de fantaisie étaient boueuses, et tout le bas du corps
jusqu'à la ceinture était imbibé d'une eau
nauséabonde comme si le jeune homme avait traversé un
étang ou une pièce d'eau avant de rentrer chez lui pour
mettre fin à ses jours.
Nicolas fit
quelques pas et s'intéressa à la croisée. Les
volets intérieurs en chêne clan étaient fermés
au loquet. Il les ouvrit et constata que la fenêtre était
également close. Il remit le tout en place, reprit sa bougie
et alluma les chandelles d'une lampe bouillotte placée sur le
bureau. La pièce surgit de la pénombre. Une voix dans
son dos le fit se retourner.
– Puis-je
vous être utile, monsieur ?
La porte d'entrée
était restée ouverte et, sur le seuil, se tenait un
homme encore jeune, en livrée mais sans perruque. M. de
Sartine n'avait pas décelé sa présence, le
dossier du fauteuil dissimulant presque totalement l'inconnu. Sa
tenue était correcte et boutonnée, mais Nicolas
s'étonna de le voir en bas, sans chaussons ni souliers.
– Puis-je
savoir ce que vous faites ici? Je suis Nicolas Le Floch, commissaire
de police au Châtelet.
– Je me
nomme Lambert et suis le valet et l'homme à tout faire de M.
le vicomte de Ruissec.
Le ton légèrement
provocant choqua Nicolas. Il ne s'avoua pas qu'il détestait
les cheveux filasse et les yeux vairons : le jour de sa première
arrivée à Paris, il s'était fait dérober
sa montre par un malandrin au regard inégal 8 .
– Et que
faites-vous ici ?
– Je dormais
dans ma couchette des communs. J'ai entendu les cris de Mme la
comtesse et me suis empressé d'accourir après m'être
vêtu. Je vous demande excuse, dit-il en désignant ses
pieds du menton Dans la hâte... le désir de me rendre
utile...
– Pourquoi
êtes-vous venu tout de suite ici ?
– J'ai
rencontré le vieux Picard dans le vestibule. Il m'a expliqué
ce qui s'était passé et les craintes pour mon maître.
Nicolas
enregistrait très vite tout ce qui lui était dit. Son
esprit classait les éventuelles contradictions et les
impressions multiples que les propos du valet suscitaient en lui. Le
ton du personnage n'était pas exempt d'une goguenardise
quelque peu railleuse, rare chez les gens de son état
lorsqu'ils s'adressaient à des supérieurs. L'homme
n'était pas aussi simple qu'il y paraissait de prime abord. Il
prétendait s'être habillé en hâte, or sa
tenue était impeccable, jusqu'à la cravate de coton
nouée, et pourtant il avait omis de mettre ses souliers. Il
faudrait vérifier le chemin emprunté et recouper auprès
de Picard l'exactitude de ses affirmations. Était-il
nécessaire de sortir et de passer par la cour pour rejoindre
les appartements du vicomte, ou existait-il un chemin dérobé
qui, par des escaliers et des corridors, permettait de circuler dans
tous les bâtiments de l'hôtel de Ruissec ? Enfin, l'homme
ne paraissait guère ému ; il est vrai qu'il n'avait pas
forcément vu le cadavre dissimulé par les fauteuils et
par Nicolas. Quant à M. de Sartine, il demeurait impavide et
silencieux et considérait, pensif, le contrecœur 9 de la cheminée. Nicolas se décida à porter une
pointe directe.
– Savez-vous
que votre maître est mort ?
Il s'était
avancé vers le valet dont le visage grêle de petite
vérole se plissa dans une grimace qui aurait tout aussi bien
pu passer pour l'expression, d'une constatation fataliste que pour
celle d'un chagrin soudain.
– Pauvre
monsieur, il a fini par tenir parole !
Devant le silence
de Nicolas, il poursuivit :
– Depuis des
jours, le dégoût l'emportait. Il ne mangeait plus et
fuyait ses amis. Peine de cœur ou peine de jeu, ou les deux, si
vous m'en croyez. N'empêche, qui eût cru qu'il s'y
mettrait si vite ?
– Il a tenu
sa parole, dites-vous ?
– Sa
promesse serait plus juste. Il répétait qu'il ferait
parler de lui en bien ou en mal. Il avait même évoqué
l'échafaud...
– De quand
datait ce curieux propos ?
– Une partie
fine dans un cabaret de Versailles avec ses camarades, il y a une
vingtaine de jours. J'étais là pour les servir et
m'occuper des bouteilles. Quelle partie !
– Vous
pouvez les
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