L'homme au ventre de plomb
de
l'appartement de Madame donne sur un couloir qui conduit au commun
des domestiques.
– Pourquoi
nous avoir caché que le vidame était dans les murs ?
– Je ne
jugeais pas la chose importante et il m'avait demandé d'être
discret. Toujours la crainte de son père.
Après que
Picard eut été reconduit, M. de Sartine commença
sa déambulation habituelle, avant de s'arrêter devant
Nicolas.
– Et où
tout cela nous mène-t-il ? Vous ignorez la teneur de la
conversation entre la mère et le fils.
– Point du
tout, monsieur. Nous savons tout. Bourdeau va vous expliquer comment.
Rien ne peut échapper à une enquête approfondie.
Il suffit de chercher et d'écouter.
L'inspecteur
sortit de l'ombre. Il paraissait partagé entre la satisfaction
de jouer son rôle et la gêne d'être mis en avant.
– Monsieur,
le commissaire Le Floch pourrait vous dire que nous nous sommes
livrés à une très précise évaluation
des actions de chacun lors de cette soirée à Grenelle.
Ni Picard le majordome, ni Lambert le valet du vicomte, n'ont pu
matériellement se trouver à distance de l'appartement
de la comtesse et connaître ce qui s'y était dit. En
revanche, une enquête récente que j'ai menée Ã
l'hôtel de Ruissec après la mort du comte nous a appris
que quelqu'un avait entendu la conversation.
– Deus ex
machina ! s'écria M. Sartine.
– Plus
simplement, monsieur, la femme de chambre de la comtesse, qui se
trouvait dans un boudoir adjacent lorsque la conversation a commencé.
Elle n'a pas très bien compris. Les échanges étaient
violents. La comtesse a accusé le vidame d'avoir tué
son frère.
– Pourquoi
une telle accusation ?
– Il semble
qu'on lui ait fait accroire que le vidame était jaloux de son
ainé et que, de surcroît, une rivalité amoureuse
les opposait. La comtesse ne croyait pas au suicide. Le débat
a été terrible. Le vidame a fini par convaincre sa mère
de son innocence en évoquant un complot dans lequel son père
et son frère aîné étaient impliqués.
Il a supplié sa mère d'intervenir. Il l'a convaincue de
parler à la police. C'est alors qu'elle a rédigé
un billet destiné au commissaire.
– Cette
femme de chambre avait-elle à voir avec l'affaire ?
– Non, sauf
que, courtisée par Lambert, elle lui répétait en
toute innocence les secrets des conversations de ses maîtres et
qu'elle lui rendit vraisemblablement mot pour mot l'incompréhensible
échange qu'elle avait surpris entre la mère et le fils.
– VoilÃ
bien, dit Sartine, l'inconvénient de ces corruptions
ancillaires.
Nicolas reprit la
parole.
– Aux Carmes
déchaux, qui était en mesure d'agresser Mme de Ruissec
? Pas son mari, il était à Versailles. Un doute
subsiste pour le vidame. L'emploi du temps de Lambert nous est
inconnu mais lui seul et le vidame, nous le savons désormais,
étaient au courant de ce rendez-vous donné et des
raisons qui le justifiaient. Observons que, jusqu'alors, l'affaire
qui nous intéresse pouvait ne pas sortir du domaine privé
et des drames de famille. Désormais, tout bascule ; d'autres
éléments entrent en ligue de compte, et bientôt
les autorités elles-mêmes décident ou feignent
d'abandonner les recherches.
M. de Sartine se
mit à tousser et accéléra sa marche maniaque.
– Vous
n'avancez tout de même pas que le fils a tué sa mère
?
– Je
n'excluais rien dans une pareille affaire. A ce moment-là ,
monsieur, je m'interroge. Dois-je laisser aller les choses Ã
vau-l'eau au risque de lâcher le fil ténu qui me guide ?
Ou bien, dois-je m'accrocher à mes quelques certitudes et
poursuivre jusqu'au bout ? La mise sous le boisseau du meurtre de la
comtesse de Ruissec n'est qu'une ruse tactique. Une chose m'obsède
: la manière atroce dont le vicomte a été tué.
À la Basse-Geôle, nous acquérons la certitude
qu'il a été étouffé avec du plomb fondu.
Pourquoi cette mort horrible ? M. de Noblecourt me rappelle Ã
propos que les faux-monnayeurs en Russie sont punis de la sorte. Cela
me fait réfléchir. En apparence, on a voulu châtier
un complice - le vicomte en l'occurrence -, mais cette mort devait
être exemplaire
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