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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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qu’il avait relevé, la multiplication des placards séditieux qu’on avait la précaution d’appliquer avec de la colle forte sur des planches clouées aux murailles. Et si abominables, sur la reine en particulier, que les exempts qui en faisaient la levée se croyaient obligés de les faire couvrir de linges afin qu’on ne pût les lire plus longtemps.
    Le nez à la portière, vitre descendue, il observait la rue et respirait les odeurs. Il regardait défiler les boutiques, les étals, ce mélange inouï d’opulence et de misère. Paris était à la fois un cloaque et un paradis. La mort demeurait dans ses rues, étrangement obsédante. Draperies funèbres, convois mortuaires, charrettes des croque-morts de l’Hôtel-Dieu, cadavres portés à la basse-geôle, mendiants morts la nuit gisant dans la rue sous le regard insensible des chalands, tout ce grand théâtre où le sang, la bouse, le crottin, les déjections, les ordures et la poussière se mêlaient à la terre et portaient l’infection. Il considérait les Parisiens et, parmi eux, il décelait à d’imperceptibles indices les mouches innombrables. Çà et là elles surgissaient déguisées de diverses manières, en mitrons, gagne-deniers, garçons perruquiers, innocents bourgeois, enfants même. Au vol il saisissait aussi des regards haineux montrant que d’autres n’étaient pas dupes et décelaient sous ces
apparences ordinaires la main de fer qui corsetait Paris. Pourtant le peuple appréciait sa police à laquelle il faisait souvent appel. Les mouches, c’était une autre affaire, le peuple trahissant le peuple. Parfois des injures fusaient, une bagarre éclatait, la boisson jouant son rôle. Aussi fallait-il bien tenir, contenir, cet immense rassemblement d’habitants alors qu’une marée de misérables disposés à tous les débordements venait des provinces en accroître la masse désespérée.
    Par hasard Nicolas était un jour tombé sur un mémoire de réformation de la sécurité d’un certain Jean-Jacques Guilloté, exempt de police. Il résumait bien la question. Il décrivait les forces de l’ordre d’une ville comme la surveillance d’un amas infini de petits objets. Pour subjuguer le peuple, il convenait de diviser et de commander. Le magistrat se devait d’être partout. Le froid libelle prônait le quadrillage de la ville en vingt quartiers, de vingt sections, de vingt maisons numérotées rue par rue, chaque étage désigné par un chiffre, chaque logement par une lettre. La police contrôlerait l’ensemble. Chaque habitant muni d’un certificat serait connu par le fisc, la voirie, la police. Une banque centrale équipée de fichiers rotatifs, que Nicolas découvrit avec amusement dessinée en style rocaille par Gabriel de Saint-Aubin 4 , rassemblait l’ensemble des informations. En un simple mouvement, douze commis obtiendraient l’information nécessaire à l’action. Tout ainsi était réglé, connu, compté, contrôlé, les arrivées et les départs, les bons citoyens et les méchants. Il n’y aurait de sûreté pour les indociles que dans les forêts et hors du royaume. Ce projet avait empli Nicolas de terreur. Se pouvait-il qu’un jour la société parvînt à un point tel qu’elle
s’abandonnerait à être réglée comme un gigantesque mécanisme d’horlogerie, dans lequel chaque individu serait traité comme un rouage ? Ce dessein glacial et inhumain l’avait fait frissonner de dégoût.

    L’aiguille de sa montre piquait onze heures quand son carrosse entra dans la cour de l’hôtel de police. À l’étage la pile des dossiers s’était encore augmentée et le signataire offrait les signes de la plus extrême fébrilité.
    – Ah ! Nicolas, je vous attendais. Imaginez qu’à peine m’aviez-vous quitté… Enfin un événement qui tombe à un moment… au pire moment ! Il importe d’agir avec célérité et prudence… Oui… circonspection même. Il faut prendre en compte les circonstances et je m’attends sous peu à ce que… Aussi faut-il aller à l’essentiel.
    Le flux de propos décousus s’arrêta faute de souffle.
    – Monseigneur, le nécessaire a été fait pour parer au plus pressé. Cependant ne nous leurrons pas ; la situation aux Innocents est d’autant plus grave que…
    – Peuh ! Il est bien question de cela ! Vous y avez sans doute pourvu avec l’habileté qui vous est coutumière. Nous convoquerons M. Cadet de Vaux 5 , ce pharmacien apothicaire dont les travaux

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