L'honneur de Sartine
propos de circonstances avaient été débités devant des témoins avides et malveillants. Que croyait-elle ? Le précipiter dans
les bras de ses ennemis ? Y avait-elle seulement pensé ? Il demeurait son loyal serviteur et il continuerait à veiller sur elle, malgré elle au besoin. Il comprenait pourquoi Provence à l’affût surveillait la lutte des factions autour du trône. La reine en était l’élément pivot. Peu à peu elle s’était impatronisée, usant de son influence sur le roi même s’il s’efforçait parfois de s’y soustraire. Elle paraissait avoir noué une alliance avec Necker, ayant besoin de lui contre Maurepas. Le vieux mentor l’insupportait. Leurs efforts réunis parviendraient-ils à chasser Sartine et à écarter le prince de Montbarrey qu’elle haïssait ?
M. Le Noir, bien au fait des détails par les lumières que lui procurait le cabinet noir, se désolait de ces débauches de haines sans réel enjeu pour les intérêts du royaume. Ces luttes altéraient l’image du trône. Avec cette finesse tranquille qui le caractérisait, il constatait le rôle grandissant de l’opinion, chacune des factions se faisant une joie mauvaise de livrer au public les épisodes les plus scandaleux et les plus propres à blesser l’adversaire. Et cela alimentait chansons, pamphlets, libelles et ouvrages anonymes déversés par les imprimeries clandestines et les courriers de Londres et de La Haye.
Nicolas quant à lui éprouvait l’enthousiasme de son fils qui était allé de bonheur en bonheur.
– Louis, si vous m’en croyez, quand vous serez en vos quartiers, ne vous targuez jamais auprès de vos camarades ni de la tabatière ni du donateur du cheval. Cela ne vous attirerait que de mauvaises affaires. Promettez-le-moi.
Ils se quittèrent dans la cour de marbre. Louis courut rejoindre le cortège des carrosses de la reine qui se formait devant l’aile du midi. Nicolas rejoi
gnit Fausses-Reposes où il dîna avec Aimée sous la tonnelle du jardin tandis que le cocher et Tribord se réconciliaient à coups de libations. Vers six heures, après une méridienne fort occupée, il prit la route de Paris. La nuit tombait quand il franchit la porte de la Conférence. Il commanda la voiture pour le lendemain. Rue Montmartre un billet l’attendait, Bourdeau espérait le voir au Châtelet le jour suivant ; il y avait du nouveau et du plus intrigant. L’absence de Naganda, qui n’avait point reparu au logis, l’étonna avant de l’inquiéter.
X
Enchaînements
« Il y a des circonstances où l’on est forcé de suppléer l’ongle du lion par la queue du renard. »
Diderot
Samedi 10 juin 1780
Mouchette balançait sa petite tête triangulaire, la mine réprobatrice devant les gémissements de Pluton allongé sous la table. Il quémandait en sourdine quelques reliefs du déjeuner de Nicolas que M. de Noblecourt lui aurait volontiers disputés. Tous deux considéraient avec inquiétude les brioches que leur ami et maître engloutissait l’une après l’autre. La répétition de cette scène domestique, agréable entracte dans le quotidien de son office, remplissait le commissaire d’aise et d’oubli. Il sentait que ces instants précieux participaient sans doute d’un ordre que d’autres appelaient bonheur. La conversation reprit qui le replongea dans le diffus des affaires en cours.
– Selon ce que vous m’avez révélé, le document en question pourrait être dans la chambre de l’enfant ?
– On le peut supposer. Ce n’est pas précisé. Il paraît seulement en être le détenteur. Sait-il seulement l’importance du papier ? Allez savoir où l’esprit d’un enfant, fort mûr d’ailleurs pour son âge, peut le conduire dans cette sorte de jeu ? Le porte-t-il sur lui ? Les possibilités sont infinies et les voies de persuasion sur lui sont limitées.
– Gagnez sa confiance. Il vous faut déceler ce qui pourrait le mouvoir et l’engager à vous faire ses confidences. Dans ce domaine je ne peux qu’être avare en conseils, n’ayant pas eu la chance d’avoir un enfant.
– Hélas, j’ai connu le mien déjà grandet ! Celui-là semble presque trop attaché à sa mère.
– Alors c’est peut-être par elle que vous parviendrez à le convaincre.
– Il y a dans cette famille des secrets bien gardés et des haines rancies que l’affectation générale ne gaze qu’imparfaitement. Il était très proche de M. de Chamberlin, son grand-oncle. Ils
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