L'honneur de Sartine
informations sur toi. Si, après quelques réticences pour la forme, il a fini par me tout révéler, c’est qu’il était désormais en confiance. Et toi, à la cour ?
– Mon fils fort ravi. Le roi fort au fait de notre affaire. Sartine fort affaissé et inquiet de son sort. La reine fort persifleuse et Provence fort séducteur ; enfin comme le serpent fascine ses proies… Avec cela le maréchal de Richelieu fort égal à lui-même et fort contempteur du tout !
– Voilà qui résume fort bien ton escapade, dit Bourdeau hilare.
Nicolas développa par le menu ce qu’il venait de résumer. Bourdeau médita un moment.
– Selon toi, qui a tenté de te tuer ? L’un des cosignataires du fameux contrat ou l’ennemi anglais ?
– L’un ou l’autre, ou même les deux. L’un des signataires peut avoir partie liée avec Londres. Les services de lord Aschbury sont en quête du papier. Antoinette me l’assure dans un message que le roi m’a remis. On affirme outre-Manche que je constitue l’obstacle principal aux tentatives de le récupérer. Observe que les participants de cette espèce de tontine ne peuvent plus toucher les intérêts de leurs placements.
– Et donc c’est sur eux un moyen de pression dont l’Anglais joue sans risque. Il peut faire miroiter à ces alouettes la perspective de récupérer les sommes investies. C’est donnant, donnant ! Mais quel lien avec l’assassinat probable de M. de Chamberlin ?
– Y en a-t-il un ? Sans doute, car le vieil homme était resté détenteur de l’original, en fait du seul exemplaire du contrat passé sous son seing entre le notaire Gondrillard et M. de Sainte-James. Il fallait s’en emparer.
– Reste que si la pièce était rendue publique, ses signataires seraient déshonorés et voués à la vindicte publique. En temps de guerre…
– La chose est plus complexe. Sartine estime que le contrat pourrait avoir été si habilement modifié qu’il n’y parût que sa seule signature !
– Il me tarde que Rabouine revienne… Et Naganda ? À quoi a servi notre stratagème ? La ruse a-t-elle été féconde ?
– Il n’était pas rentré hier soir. Cela ne laisse pas de m’inquiéter.
– Nicolas, je crois qu’il faut aviser. C’est périlleux de mépriser un adversaire qui a failli vous tuer !
– Tu as raison. J’essayais de me persuader qu’il allait reparaître ou qu’il serait ici. Lui serait-il survenu…
– Qu’entends-je ? s’écria la forte voix de Semacgus entrant dans le bureau. Naganda en danger ?
– C’est, hélas, à redouter ! Avant-hier, il a pris ma place dans une voiture censée être suivie tandis que je m’échappais de l’hôtel de Noblecourt déguisé en garçon boulanger.
– Quelle affaire, Carnaval est pourtant passé et le bœuf gras dévoré depuis longtemps !
Nicolas s’en voulait d’avoir tant tardé. Il rassembla des feuilles de papier que, fébrilement, il coupait en quatre.
– Que fais-tu là ? demanda Bourdeau, intrigué.
– J’entends mobiliser tous nos moyens et rendre efficient ce réseau qui par nos soins, je veux dire la police, enserre cette capitale de ses rets invisibles. Guillaume, voulez-vous nous aider ?
– Bien volontiers. J’allais au jardin du roi, mais la chose peut être remise. Et il fait si chaud ! En quoi puis-je vous aider ?
– Nous allons écrire des billets avec la description de notre ami et les faire tenir à qui de droit. Pierre, intime au père Marie de rassembler des vas-y-dire qui porteront nos poulets.
Semacgus s’essuya le front, enleva sa perruque, tomba son habit de basin grège et s’assit à la table. Il apprêta un encrier et se mit à tailler une plume d’un petit canif sorti de son gilet.
– Bon, reprit Nicolas. Comment présenter la chose ? Il faut être précis et saisissant pour frapper l’attention de nos correspondants. On recherche un fiacre transportant un naturel d’Amérique portant tatouages et cicatrices sur le visage. A quitté le jeudi 7 juin dans l’après-midi la rue Montmartre, hauteur de l’impasse Saint-Eustache, vers une destination inconnue .
– Ajoute, dit Bourdeau revenu, que l’homme portait un habit noir et que tout renseignement doit être porté au Grand Châtelet, aux bons soins du sieur Marie, huissier. À qui vas-tu adresser cela ? On n’est pas rendus, cela va prendre pot-bouille !
– À tous les commissaires et inspecteurs de la ville et de la
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