L'honneur de Sartine
pas ouvert à Sartine des détails, de ce que Rodollet leur avait permis de découvrir et de son espérance des nouvelles de Champagne. Il le savait peut-être, mais n’aimait point le décousu d’une trame, et demeurait impatient toujours d’en tenir en main le rapiécé et d’en apprendre le dénouement, sans avoir à entrer dans ce qu’il appelait la cuisine du commissaire. Il restait à espérer qu’il
s’abstînt désormais d’envoyer ses sicaires intervenir de nouveau dans sa quête.
Louis, encore sous le coup de l’annonce de sa promotion, l’attendait dans l’antichambre des gardes, piaffant d’excitation. La plus grande agitation régnait dans les appartements de la reine. Mme Campan, qui ne savait plus où donner de la tête, leur apprit que celle-ci et ses entours s’apprêtaient à gagner le château de la Muette aux fins d’être plus proches de Mme de Polignac, sur le point de faire ses couches dans sa demeure de la rue de l’Université. Cartons et paquets contenant les hardes et parures de la reine indispensables à cette migration s’accumulaient sur le parquet. En dépit, précisa la bonne dame, de la navette des voitures qui, plusieurs fois par jour, circuleraient entre les deux châteaux.
Après être allée aux nouvelles, elle les conduisit jusqu’au petit cabinet rocaille de la feue reine. Son apparence était comptée, dit-elle, on souhaitait en renouveler le décor 49 . Quand ils pénétrèrent dans la pièce à pans coupés, la souveraine, en cheveux et en coiffe, était assise dans un fauteuil, le dos à la croisée ouverte. Elle buvait d’un air languissant une tasse de lait. Il semblait qu’il y eût foule tant le boudoir était petit. Des têtes se tournèrent, regards froids de courtisans sur les intrus. Seul M. de Besenval sourit avec un mouvement de tête.
– Tenez, n’est-ce pas le cavalier de Compiègne ? Il se fait rare. Que va-t-il trouver pour sa défense ?
– Votre Majesté prendra en compte, j’en suis sûr, que le service du roi…
Il fut interrompu de ce même ton glacé et un rien persifleur.
– Point de leçon, monsieur, sur la chose. Est-ce le service du roi ou d’un de ses ministres ? Pour naviguer il faut savoir prendre le vent.
Des rires discrets saluèrent une allusion transparente. Sans doute, en dépit des précautions prises, son entretien avec le ministre de la Marine était-il déjà éventé. À la cour, rien ne pouvait demeurer longtemps secret. Il mesura l’âcreté de la reine et rendit justice à Sartine. Il ne se trompait pas en affirmant que la reine voulait désormais sa perte. Rien ne parut chez Nicolas de l’émotion ressentie. Que répondre ? Toute tentative de justification ne pouvait, en l’état, qu’aggraver l’irritation de la reine. La suite montra que rien, ce jour là, ne serait mis à son crédit.
– Puis-je présenter à Votre Majesté mon fils Louis, désormais vicomte de Tréhiguier…
Il sentit à ses côtés la surprise du jeune homme.
– … qui va prendre ses fonctions de lieutenant dans le régiment des carabiniers à cheval de Monsieur.
Louis se jeta aux pieds de la reine, qui se pencha et le releva d’un geste gracieux.
– Je vous en fais mon compliment. Nul doute que vous êtes meilleur cavalier que votre père !
De nouveau les rires fusèrent. Elle fixa Nicolas.
– Que voilà une nouvelle ! À qui doit-on cette nomination ? À un ministre ?
Nicolas savait combien la reine était sensible à ce que places et faveurs soient octroyées de sa main ou qu’il soit bien entendu qu’elle y avait eu sa part. Il choisit de dire la vérité, du moins une partie.
– Madame Louise, tante de Sa Majesté, s’est entremise auprès de Monsieur.
Il y eut des murmures surpris.
– Voilà qu’au fond de son couvent elle prend fait et cause dans les nominations ! Quelle chose étrange ! Êtes-vous désormais à Monsieur ?
– Point, Votre Majesté sait bien quelle est ma fidélité.
– Soit, monsieur. Tout cela est fort bon, mais je comptais sur mon page à la Muette et sur mon Chérubin sur scène. Cela fera tarder quelque peu son envol. J’en parlerai à mon frère. À vous revoir, monsieur, le service du roi ne saurait attendre.
Elle fit un geste impérieux accompagné d’un haussement de tête qui lui rappela le temps d’un éclair la figure de Marie-Thérèse. Ce mouvement signifiait à Louis de demeurer. Il jeta un regard désespéré à son père qui lui
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