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L'honneur de Sartine

L'honneur de Sartine

Titel: L'honneur de Sartine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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mi-voix s’adressa à Nicolas, l’air effrayé.
    – Faites détour, monsieur, je vous en supplie. Il y a du danger à poursuivre, je vous l’assure.
    – Mais enfin, qu’y a-t-il ? demanda Bourdeau.
    – Ce sont deux frères qui ont été exécutés ce matin par le bourreau à la grève. Le plus âgé n’avait pas vingt ans. Ils ont été rompus par jugement de la chambre criminelle, à ce qu’on dit.
    – Et quel était leur crime ?
    – Ils avaient dépouillé avec menaces de mort un marchand revendeur qui rentrait chez lui de nuit.
    L’homme écoutait leur dialogue et montra le poing.
    – Et dire qu’ils n’ont volé que quinze livres et que le revendeur n’a même pas crevé !
    – Il faut bien dire, messieurs, reprit la vieille, que la foule ce matin gémissait en les voyant si jeunes, implorant jusqu’au bout la clémence. Qu’on raconte qu’ils ont excité la pitié du peuple, tant jeunes et beaux qu’ils étaient, et pleurant dans les bras l’un de l’autre que c’était misère. Leurs corps sont exposés à l’endroit de leur crime et la foule gronde à faire frémir.
    Soudain l’ouvrier qui leur avait intimé de déguerpir se mit à désigner la voiture en hurlant.
    – C’est un fiacre de la pousse. Je le reconnais.
    À bas la pousse ! À mort ! À mort !
    Aussitôt la caisse fut bombardée de pierres, de bouteilles et de crottin et les glaces furent brisées.
N’eût été l’esprit de décision de leur cocher qui distribua de droite et de gauche de cinglants coups de fouet et poussa l’attelage pour les dégager, nul doute que cette populace irritée leur aurait fait un mauvais parti.
    – Le faubourg tient ses promesses, commenta Nicolas en époussetant les débris de verre qui le couvraient. Quelle journée !
    – Le peuple devrait se maîtriser, mais il y a sans doute une erreur à le provoquer ainsi.
    – La justice se doit de donner l’exemple.
    – À condition que ses jugements soient exemplaires. On ne gradue pas assez les peines. La victime aurait été tuée, quelle sanction leur était impartie ?
    – La même, hélas !
    – Quel est le meilleur médecin, celui qui guérit la maladie ou celui qui la prévient ? On ne corrige pas celui qu’on punit, on espère corriger les autres à travers lui. Le droit est une science faite pour les puissants ; il leur apprend jusqu’à quel point ils peuvent violer la loi sans choquer leurs intérêts.
    Nicolas ne souhaitait pas s’engager dans un tel débat, même s’il ressentait au fond de lui le bien-fondé des remarques de Bourdeau.
    – Notre Ramponeau ne s’est donc pas contenté de son Tambour royal .
    – C’est un fieffé malin, comme certains qui savent comment changer le sujet de la conversation…
    – Mille reparties me viennent à l’esprit plus spirituelles les unes que les autres, mais va. Donc ton fieffé ?
    – … a voulu multiplier son profit et a ouvert, il y a dix ans, cette deuxième guinguette au pied de la butte aux Martyrs 10 après avoir décuplé ses proprié
tés en vignobles autour de la ville. Il a fait florès en vendant des vins.
    – Non grevés de taxes.
    – Connais-tu les tarifs dans les cabarets hors les murs ?
    – Non.
    – Trois sols, alors qu’en ville rien en dessous de six sols la pinte !
    – Et de surcroît, le lieu est bien choisi. Sais-tu que les recruteurs opèrent désormais dans ce nouveau quartier ?
    – Dès lors que la multiplication des guinguettes et l’afflux des chalands favorisent leur entreprise, il n’est pas étonnant qu’ils aient presque abandonné le quai de la Ferraille.
    Soudain Bourdeau fut frappé par l’attitude pensive de Nicolas.
    – Ce sont ces deux petits massacrés ? Tu as vu trop de cadavres depuis ce matin.
    – Non pas, ils font partie de la même danse à laquelle nous serons un jour invités. On ne voit point deux fois le rivage des morts… Pour s’apprivoiser à la camarde, rien de mieux que de s’en avoisiner. Plusieurs faits m’obsèdent, une échelle qui n’existe pas, une bille trop évidente et encore autre chose dont je ne me souviens pas.

III
    Singularités
    « Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
    ne se retrouve pas ? »
    Malherbe
    À La Grande Pinte , qui ressemblait à s’y méprendre au Tambour royal , Ramponeau les accueillit comme de vieilles connaissances. La salle était comble, mais il fit installer un petit guéridon autour duquel ils s’installèrent. Il prit

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