L'Hôtel Saint-Pol
que Passavant, désarmé, se mit à rire.
– Holà ! cria le visiteur. Holà ! Thibaud ! Montez-nous un peu de ce nectar comme vous en avez envoyé trois flacons à Sa Majesté le roi de France ! Mon gentilhomme, n’ayez pas peur. Je ne suis pas le roi. Donc je ne suis pas fou. On me nomme Jacquemin Gringonneur. Je suis peintre. Si je porte l’épée, c’est que le roi m’y a autorisé par lettres patentes. Je vous remercie de tout mon cœur de m’accepter en votre logis, tout inconnu que je vous suis. Et maintenant sachez que je viens de l’Hôtel Saint-Pol.
– Oh ! le spectre de la Tour Huidelonne ! songea Passavant assombri.
Thibaud, à ce moment, déposait sur la table deux gobelets, et un flacon qu’il venait d’apporter avec autant de respect qu’une relique sacrée.
– Maître Le Poingre, dit le chevalier, vous mettrez cela sur ma note.
Gringonneur commença un geste, mais n’insista pas.
Thibaud, pour la première fois de sa vie, eut une grimace presque douloureuse, et sortit en se disant : Je suis un homme ruiné.
Cependant Jacquemin Gringonneur et le chevalier de Passavant avaient pris place vis-à-vis l’un de l’autre, ayant entre eux le fameux nectar.
– Monsieur le chevalier, dit Gringonneur, tel que vous me voyez, je suis un ami du roi.
– Moi aussi, dit Passavant. Cela vous étonne ?
– Mais oui, par la jupe à Juno ! Je croyais être le seul et unique ami du Fou. Et c’est pourquoi beaucoup disent que je suis un peu fou moi-même. Est-ce que vous seriez…
– Fou ? dit froidement le chevalier. Je le serai si cela me plaît. En attendant, je suis l’ami du roi, et j’ai mes raisons pour cela. Après ?
– Par la jupe à Juno ! nasilla Gringonneur, vous avez une façon de parler qui me va droit au cœur. Ah ! vous êtes l’ami du roi ? Et vous avez un air de loyauté qui fait qu’on vous veut du bien ? Et vous avez dompté Thibaud Le Poingre ? Et vous avez humilié les quatre loups-cerviers de Bourgogne en les traitant royalement sans avoir une maille en votre escarcelle ? Eh bien, voilà qui change les choses !… Monsieur le chevalier, pardonnez-moi d’être venu avec de mauvaises intentions et de vous parler aussi librement que si le ciel, dispensateur des titres de naissance, m’avait fait votre égal.
Passavant examinait l’homme, de son air figue et raisin, naïvement curieux et goguenard.
– Maître Gringonneur, dit-il, je considère comme mon égal tout homme d’esprit et de courage, fut-il manant. Quant aux mauvaises intentions que vous dites avoir eues, j’attends que vous me les expliquiez pour savoir si je dois vous pardonner ou vous jeter par la fenêtre.
– Ne faites pas cela, par la jupe de Juno ! Je serais capable de briser l’enseigne de la Truie, et Thibaud ne vous le pardonnerait jamais. Comment le trouvez-vous ?
– Thibaud Le Poingre ?
– Non. Ce vin des Îles, ce nectar.
– Supportable, dit froidement Passavant.
Gringonneur s’inclina. Il trouva le mot définitif, c’est-à-dire achevant de peindre Passavant.
– Je vous disais que je viens de l’Hôtel Saint-Pol, reprit-il. J’y ai mes grandes et petites entrées. Certaine princesse avec laquelle vous vous êtes rencontré ce matin me fait l’honneur de parfois me consulter, bien qu’elle se méfie fort de moi. Vous avez vu messire de Bois-Redon… ce grand gaillard sans poil au menton, qu’elle vous a dépêché ? Eh bien, la princesse en question n’a qu’une confiance modérée dans l’intelligence de cet homme. Par contre, elle a une confiance illimitée en ses bras. Donc, la princesse, ne se fiant pas à la diplomatie de Bois-Redon, m’a dépêché à vous, avec mission de vous endoctriner. Elle veut vous avoir à son service. Et pour preuve de ses dispositions favorables, elle vous envoie ceci…
En même temps, Gringonneur tira de dessous son manteau une bourse de cuir gonflée à en éclater. Et de ce ton dévot qui prouvait une haute considération pour la bourse et pour celui à qui elle était destinée :
– C’est de l’or, dit-il.
– C’est bien, fit Passavant, allongez le bras derrière vous, là, sur ce bahut, mettez ça là.
– Ça ! cria Gringonneur ébahi.
– Eh oui, la bourse, l’or, les dispositions favorables, là, sur ce bahut… maintenant, j’attends toujours l’explication des mauvaises intentions que vous aviez. Vouliez-vous donc me daguer ?
– Non pas, par la jupe à
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