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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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suivi cette funeste kermesse.
    Ensuite, rassasiés, les indigènes avaient commencé à se montrer le vaisseau. Ils ne l’associaient probablement pas à la présence des matelots : majestueux de mâts et de voilure, incomparablement différent de leurs pirogues, ils n’avaient pas pensé que ce fût un ouvrage de l’homme. Au dire du père Caspar (qui jugeait connaître fort bien la mentalité des idolâtres du monde entier, dont lui parlaient les voyageurs jésuites de retour à Rome), ils croyaient que le vaisseau était un animal, et le fait qu’il était resté neutre tandis qu’eux s’adonnaient à leurs rites d’Anthropophages les avait convaincus. Par ailleurs, Magellan déjà, assurait le père Caspar, avait raconté comment certains indigènes croyaient que les navires, venus en volant du ciel, étaient les mères naturelles des chaloupes, qu’ils allaitaient en les laissant pendre à la muraille et puis sevraient en les jetant dans l’eau.
    Or maintenant quelqu’un suggérait probablement que si l’animal était docile, et ses chairs aussi succulentes que celles des matelots, il valait la peine de s’en emparer. Et ils s’étaient dirigés sur la Daphne . À ce moment-là, notre pacifique jésuite, pour les tenir au large (l’Ordre lui imposait de vivre ad majorent Dei gloriam et pas de mourir pour la satisfaction de quelques païens cujus Deus venter est ), avait mis le feu à la mèche d’un canon déjà chargé et pointé sur l’Île. Le boulet, avec grand grondement et alors que le flanc de la Daphne s’auréolait de fumée comme si l’animal écumait de colère, était tombé au milieu des pirogues, en renversant deux.
    Le prodige avait été éloquent. Les sauvages étaient revenus sur l’Île, s’esquivant dans les fourrés, d’où ils avaient émergé de nouveau peu après avec des couronnes de fleurs et de feuilles qu’ils avaient jetées dans l’eau en accomplissant des gestes d’hommage, puis ils avaient mis le cap au sud-ouest et disparu derrière l’île occidentale. Ils avaient payé au grand animal irrité ce qu’ils pensaient être un tribut suffisant et ils ne se referaient sûrement plus voir sur ces rivages : ils avaient décidé que cette zone était infestée par une créature ombrageuse et vindicative.
    Voilà l’histoire du père Caspar Wanderdrossel. Pendant plus d’une semaine, avant l’arrivée de Roberto, il s’était senti encore mal mais, grâce à des préparations de sa façon (« Spiritus, Olea, Flores, und andere dergleichen Vegetabilische / Animalische / und Mineralische Medicamenten »), il commençait déjà à jouir de sa convalescence quand, une nuit, il avait entendu des pas sur le tillac.
    À partir de ce moment, la peur l’avait rendu malade à nouveau, il avait abandonné sa chambre et s’était réfugié dans ce cagibi, emportant avec lui ses médicaments, et un pistolet, sans même comprendre qu’il n’était pas chargé. Et il n’était sorti de là que pour chercher nourriture et eau. D’abord, il avait volé les œufs précisément pour reprendre des forces, ensuite il s’était limité à faire main basse sur les fruits. Il s’était convaincu que l’intrus (dans le récit du père Caspar, l’intrus était naturellement Roberto) était homme de savoir, curieux du vaisseau et de son contenu, et il avait commencé à considérer qu’il ne s’agissait pas d’un naufragé mais de l’agent de quelque pays hérétique qui voulait les secrets de l’Observatoire Maltais. Voilà pourquoi le bon père s’était mis à se comporter de manière si infantile, dans le dessein de pousser Roberto à abandonner ce navire infesté de démons.

    Il revint ensuite à Roberto de raconter son histoire et, ignorant ce que Caspar avait lu de ses papiers, il s’était en particulier attardé sur sa mission et sur le voyage de l’Amaryllis . Le récit avait eu lieu alors que, à la fin de cette journée, ils avaient fait bouillir un coquelet et débouché la dernière bouteille du capitaine. Le père Caspar devait se requinquer et se faire du sang neuf, et ils célébraient ce qui semblait désormais à chacun un retour dans la société humaine.
    — Ridiculeux ! » avait commenté le père Caspar après avoir écouté l’incroyable histoire du docteur Byrd. « Pareille bestialité j’ai moi jamais entendue. Pourquoi faisaient-ils eux à lui ce mal ? Tout je pensais de écouté avoir sur le mystère de la longitude, mais

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