L'Iliade et l'Odyssée
au pâturage avec ses grasses
brebis. Ils entrèrent donc et regardèrent autour d’eux.
Il y avait des claies chargées de fromages,
des enclos bondés d’agneaux et de chevreaux. Il y avait de grands
vases pleins de lait jusqu’au bord.
« Prenons les fromages, les agneaux, les
chevreaux, et regagnons notre vaisseau », dirent les
hommes.
Comme il eût mieux valu qu’Ulysse les
écoutât ! Mais il voulait voir le géant, et recevoir de lui
les présents d’hospitalité que tout homme offrait d’ordinaire à
l’étranger qui lui faisait visite.
Ils allumèrent donc un feu, firent un
sacrifice aux dieux et se mirent à manger des fromages en attendant
le retour du géant.
Il arriva enfin, portant une lourde charge de
bois sec pour préparer son souper. Il déchargea le bois avec un tel
fracas que les hommes coururent se cacher. Puis il poussa dans
l’antre les bêtes qu’il devait traire, laissant dehors, dans
l’enclos, les béliers et les boucs. Avant de se mettre à traire, il
ferma l’entrée avec un gros bloc de pierre – un bloc que vingt bons
chariots à quatre roues n’auraient pas déplacé du sol.
Quand il eut achevé tout son travail, il
aperçut les hommes.
« Qui êtes-vous ? leur cria-t-il. Et
d’où venez-vous ? Faites-vous du commerce ? ou êtes-vous
des pirates, qui errez à l’aventure ? »
En entendant ces mots prononcés d’une voix
terrible, leur coeur fut brisé d’épouvante. Ulysse cependant lui
répondit avec assez de fermeté. Il lui dit qu’ils étaient des
guerriers qui s’étaient égarés à leur retour de Troie.
« Nous voici maintenant à tes genoux,
dit-il. Souviens-toi, noble seigneur, que Zeus lui-même accompagne
les étrangers qui le révèrent. »
Mais le géant au coeur sans pitié
répondit : « Tu es bien naïf si tu crois qu’ici nous nous
soucions des dieux. Nous sommes plus forts qu’eux. »
Là-dessus, il étendit les bras et saisit deux
des hommes. Il leur brisa la tête contre terre, puis découpa leurs
membres et en fit son souper.
À la vue de ces actes monstrueux, les autres
pleuraient et levaient les mains vers Zeus. Mais ils ne savaient
que faire.
Quand le Cyclope eut achevé son repas de chair
humaine et bu, par-dessus, du lait pur, il s’étendit pour dormir au
milieu de ses brebis. Alors Ulysse pensa à plonger son épée aiguë
dans la poitrine du monstre. Mais une autre idée le retint. Comment
lui et ses compagnons pourraient-ils s’échapper, avec ce grand
rocher qui barrait la porte ?
Lorsque parut l’Aurore, le géant alluma son
feu et se mit à traire ses brebis. Puis il saisit encore deux
hommes pour son déjeuner. Quand il eut mangé, il retira la pierre,
fit sortir ses brebis, et replaça la pierre sans aucune
difficulté.
Puis il emmena ses grasses brebis vers la
montagne. Ulysse restait là, méditant son malheur et songeant à sa
vengeance.
Or voici le projet qui parut le meilleur à
Ulysse. Le Cyclope avait laissé dans l’antre un bois d’olivier
encore vert dont il entendait se servir comme massue. Il était
aussi grand que le mât d’un navire à vingt bancs de rameurs. Mais
Ulysse en coupa un morceau long d’une aune qu’il fit polir à ses
compagnons. Il en tailla une extrémité et la durcit au feu. Puis il
cacha ce pieu sous la litière.
« Tirons maintenant au sort, dit Ulysse à
ses hommes, pour savoir qui m’aidera à enfoncer le pieu dans l’oeil
du Cyclope, quand il sera bien endormi. »
Quatre hommes furent bientôt choisis, et
c’étaient les meilleurs. Cela faisait cinq avec Ulysse.
Le soir, le Cyclope revint. Il fit rentrer
tout son troupeau, béliers et brebis. Il referma la porte avec la
grosse pierre et il se mit à traire.
Puis il prit encore pour son souper deux
compagnons d’Ulysse.
Alors Ulysse s’approcha de lui, tenant dans
ses mains une jatte de vin noir.
« Bois ce vin, lui dit-il, après la chair
humaine que tu viens de manger. »
Le Cyclope prit la jatte et la vida. Puis il
en demanda une seconde fois, promettant en retour un beau
présent.
Ulysse lui versa une deuxième, puis une
troisième rasade. Ce vin épais, que les Grecs buvaient mélangé à
beaucoup d’eau, le Cyclope l’avalait à grandes gorgées. Il lui
monta bientôt à la tête.
« Quel est ton nom ? »
demanda-t-il à Ulysse.
« Personne », lui répondit
Ulysse.
« Personne, tu seras le dernier à être
mangé, repartit le monstre cruel. Tel sera mon présent. »
Ce
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