L'Iliade et l'Odyssée
disant, il s’affaissa à terre, vaincu par
le sommeil.
Ulysse saisit le pieu et déposa sa pointe dans
le feu. Quand le pieu fut près de flamber, Ulysse et ses compagnons
l’enfoncèrent en le faisant tourner dans l’oeil du géant. L’oeil
brûlé fumait et grésillait.
Le Cyclope poussa un gémissement terrible, et
la roche retentit alentour. Affolé de douleur, il arracha le pieu.
Il le jeta loin de lui, en appelant ses voisins qui avaient leurs
cavernes entre les pics battus des vents.
Les autres Cyclopes, entendant son cri,
accoururent de tous côtés.
« Qu’y a-t-il ? lui crièrent-ils du
dehors. Est-ce toi que l’on tue par ruse ou par
force ? »
« Qui me tue, amis ? Personne, et
c’est par ruse. »
« Si personne ne te tue, lui répondirent
ses voisins, c’est sans doute quelque mal que t’envoient les dieux.
Prie donc Poséidon, notre père. » Et ils s’en allèrent.
Ulysse riait tout bas de voir comment l’habile
invention de son nom les avait trompés. Cependant, le Cyclope,
gémissant de douleur, avait retiré la pierre de la porte. Il
s’assit à l’entrée de la caverne, les deux bras étendus pour
prendre quiconque essaierait de sortir avec les moutons.
Ulysse, de son côté, faisait toutes sortes de
projets, et voici celui qui lui parut le meilleur. Il lia les
béliers trois par trois, et attacha un homme sous la bête du
milieu. Pour lui-même, il choisit le plus gros bélier du troupeau.
Il se blottit sous son ventre velu, s’accrochant des deux mains à
sa merveilleuse toison.
Dès que parut l’aurore, le troupeau sortit
pour aller au pâturage. Le Cyclope tâtait l’échine de toutes ses
bêtes. Mais il ne s’aperçut pas que des hommes étaient attachés
sous le ventre des béliers.
Quand le grand bélier sortit, le dernier de
tous, le géant lui dit, après l’avoir tâté : « Doux
bélier, toi qui es toujours le premier, tu es le dernier
aujourd’hui. Regrettes-tu l’oeil de ton maître ? cet oeil
qu’un scélérat a crevé, après avoir noyé mes esprits dans le vin.
Ah ! si tu pouvais parler et me dire où il est, ce Personne,
comme je lui briserais la tête contre terre ! »
Enfin, il laissa sortir le grand bélier.
Arrivé à quelque distance de l’antre, Ulysse se détacha de dessous
le bélier. Puis, il détacha ses compagnons.
Alors, poussant vivement les moutons devant
eux, ils regagnèrent le navire.
Le reste de l’équipage accueillit avec joie
les rescapés, et se mit à pleurer les autres à grands cris. Mais
Ulysse leur défendit de pleurer ; il leur ordonna de charger
en hâte les moutons et de reprendre la mer.
Bientôt, ils frappaient de leurs rames la mer
écumante. Quand il ne fut pas trop loin pour faire entendre sa
voix, Ulysse cria au Cyclope : « Voilà la punition de
Zeus pour avoir osé manger des hôtes en ta maison ! »
Furieux, le Cyclope arracha la cime d’une
montagne et la lança dans la mer. Sa chute produisit un remous qui
rejeta le navire à la côte.
Ulysse saisit une gaffe pour l’en écarter, en
excitant ses hommes à ramer de toutes leurs forces. Mais quand ils
furent un peu plus loin, Ulysse ne put s’empêcher de crier de
nouveau : « Si quelqu’un te demande qui t’a crevé l’oeil,
dis-lui que c’est Ulysse, le fils de Laerte,
d’Ithaque ! »
Le Cyclope lui répondit en gémissant :
« Un devin m’avait annoncé autrefois que je serais aveuglé des
mains d’Ulysse. Mais je pensais que ce serait un homme grand et
fort, et non pas un nabot comme toi. Reviens donc, Ulysse, que je
t’offre tes présents d’hospitalité, et que je charge mon père
Poséidon de te remettre en route. »
Ulysse lui répliqua avec mépris, et le géant
blessé pria Poséidon en levant les mains vers le ciel :
« Écoute-moi, Poséidon, qui portes la terre. Si je suis
vraiment ton fils, fais que jamais Ulysse ne revienne en sa maison.
Ou, s’il doit revoir sa maison et les siens, que ce soit un jour
lointain, après la perte de tous ses compagnons, sur un vaisseau
étranger, et qu’il trouve le malheur chez lui. »
Telle fut sa prière, et le dieu de la mer
sombre l’entendit. Le Cyclope lança un autre gros rocher, mais le
remous poussa le navire vers l’île, où les hommes retrouvèrent
bientôt leurs compagnons.
Là, sur la grève, ils firent le partage des
moutons, et chacun reçut sa juste part. Le grand bélier fut donné à
Ulysse, qui le sacrifia à Zeus.
Mais Zeus n’agréa
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