L'Impératrice indomptée
coloré. L’on sait ainsi que « à peine le bateau a-t-il accosté – un large espace le sépare encore de la terre ferme – que l’empereur François-Joseph s’y précipite et, serrant sa fiancée dans ses bras, il l’embrasse fougueusement devant tout le monde. Puis, pâle et intimidée, Sissi, en robe de soie rose et manteau blanc, met pied à terre à son bras. Poussé par mille voix, retentit comme un ouragan le cri de “Vive Élisabeth !”. Elle s’arrête un instant, fascinée, et, profondément émue, indécise et embarrassée, plonge son regard dans la foule enthousiaste. Puis elle se ressaisit, salue à droite et à gauche, agite son mouchoir de dentelle et la vue de cette gracieuse apparition arrache de nouvelles acclamations aux spectateurs. François-Joseph, alors, tâche de la soustraire à ses admirateurs ; il monte avec elle dans le carrosse attelé de superbes chevaux blancs de Lippiza et ils partent très vite pour Schönbrunn, où le reste de la famille impériale s’est réuni afin de recevoir la fiancée. »
À son arrivée là-bas, les derniers rayons de soleil font luire les aigles des grilles. Une foule compacte emplit les jardins que l’on a ouverts au public. Tout ce qui compte de titré à Vienne, archiducs, princes, prélats, ministres, généraux, est aligné à l’entrée pour lui rendre hommage. La journée a été longue, et Sissi montre des signes de fatigue, mais le plus éreintant – les présentations et les baisemains – est encore à venir. Des rangées d’archiduchesses attendent en haut de l’escalier ; la longue galerie des glaces affiche complet avec les « dames du palais » (qui, toutes, appartiennent à ce monde privilégié où l’on détient héréditairement le droit d’entrée dans les appartements impériaux). C’est pesant pour la jeune Bavaroise ! Elle est maintenant trop éreintée pour apprécier la beauté des cadeaux qui lui sont offerts et il lui faut encore apparaître au balcon du palais pour répondre aux vivats. Sissi, trop inexpérimentée et nerveuse, est pâle et semble épuisée.
Il faut pourtant comprendre que tout ce protocole est naturel. Vienne a dépensé de grosses sommes pour décorer les rues ; beaucoup de maisons sont pavoisées. L’arrivée solennelle d’Élisabeth, la lente marche de son carrosse de Nussdorf à Schönbrunn, l’interminable série des discours, déclarations et protestations de loyalisme, tout cela forme un grand spectacle, que règle le vieux cérémonial de la cour.
Le pire moment de la journée arrive lorsque, parvenue avec son futur époux au seuil de leur appartement privé, se trouve une femme âgée, que François-Joseph lui présente : la comtesse Esterhazy-Liechtenstein 1 , maîtresse de sa maison. Personne n’a jamais averti Élisabeth qu’une femme plus âgée que sa mère, et d’apparence beaucoup plus sévère que n’importe quelle gouvernante dont elle a le souvenir, aura le droit d’intervenir dans tous les détails de sa vie privée, sous prétexte de lui inculquer les règles de l’étiquette et du cérémonial. Sissi se tourne vers son fiancé qui essaie de la calmer quand elle s’inquiète de ce qui l’attend. « Mon Dieu, n’y pense pas, chérie, lui dit-il, cela fait partie de notre métier et tu verras combien les Viennois seront enchantés de ma délicieuse petite fiancée. »
Première nuit à Schönbrunn : l’insomnie et quelques cauchemars. Élisabeth n’a pas encore eu le temps de visiter le château et ne soupçonne pas les richesses que recèlent ses mille quatre cent quarante et une pièces. Son immensité ne l’impressionne pas, pas plus que la profusion des sculptures et des ornements ; mais elle pense avec un frisson que ces murs, dont les innombrables fenêtres la regardent comme des yeux froids et curieux, abritent une vie qui lui est étrangère.
Une certaine mélancolie enveloppe la bâtisse. Elle n’est pas plus éloignée du centre de Vienne que Saint-Cloud ne l’est du centre de Paris. En y arrivant, on est presque déconcerté par son aspect aimable. Elle s’étend, plutôt qu’elle ne s’élève, au fond d’une très vaste et simple cour. Rien de pompeux, rien de distant et surtout rien de féodal. Les façades peintes en jaune, l’encadrement blanc des fenêtres et les persiennes vertes offrent un ensemble élégant et riant, mais surprenant. Schönbrunn, bâti par l’impératrice Marie-Thérèse, est une construction
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