L'Impératrice indomptée
féminine et familiale qui dépayse sans inquiéter, sauf au moment où l’on pénètre sous les voûtes d’entrée. Là, tout devient vraiment triste. La lumière y entre dans un demi-jour inhospitalier : il y fait froid et, dans ce froid, il y a de l’abandon.
À peine a-t-elle dormi quatre heures que le lendemain, 23 avril, tout le monde, ainsi que le veut l’étiquette, est en grande toilette dès le matin ; les dames sont en opulentes robes « rondes ». En voiture à six chevaux, la duchesse Ludovica et sa fille se rendent de Schönbrunn au Theresianum, le vieux château impérial d’où, depuis des siècles, la fiancée du souverain fait son entrée dans la capitale. Là, Sissi, écrasée par la gravité de l’instant, se met à pleurer et on a du mal à la calmer. Il lui est insupportable d’être regardée continuellement, et voilà qu’on veut encore la promener dans tout Vienne à l’intérieur d’un carrosse de verre, comme si elle était une bête curieuse.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle sort du palais, dans sa robe rose et argent, ses cheveux noués haut sous sa couronne de diamants, elle semble calme et sereine. Elle monte fièrement dans le carrosse vitré aux panneaux peints par Rubens, dans lequel elle doit traverser la capitale, tirée par huit chevaux blancs de Lippiza, escortée par des postillons et des cavaliers habillés d’or et de noir, ainsi que par des pages et des chambellans costumés d’écarlate et de blanc.
Le lendemain, 24 avril, dans l’après-midi, Élisabeth et François-Joseph sont mariés en l’église des Augustins, église paroissiale de la Hofburg. Dès l’aube, elle affronte le cérémonial. De nombreuses mains s’affairent des heures autour de sa robe de mariée. Elle est taillée dans un épais satin blanc broché d’or et d’argent ; sur les épaules est jeté un léger tissu brodé d’or, qui se prolonge en une traîne. Une agrafe de pierres précieuses retient le voile en fine dentelle de Bruxelles. Lourd au front est le diadème orné de diamants étincelants (cadeau de noces de l’archiduchesse Sophie qui l’arbora elle-même à son mariage). Il brille maintenant dans les cheveux d’Élisabeth, encerclé d’une fraîche couronne de myrte et d’oranger. Dure épreuve que la pénible cérémonie de l’habillement ! Chacune des mains qui la touchent, la tapotent et la tiraillent fait mieux sentir à la jeune fille la complète transformation que va subir sa personne. Et ce diadème, ne sera-t-il pas bien pesant à porter toute une vie ?
Mais l’heure n’est plus à la réflexion. Et c’est le coeur battant qu’elle pénètre dans l’église tendue de brocart cramoisi et or, illuminée de milliers de cierges, peuplée de cardinaux aux étoffes pourpres, de ministres d’État, d’ambassadeurs et de diplomates aux broderies d’or et d’argent, de généraux couverts de décorations, de magnats hongrois et de nobles polonais dans leurs magnifiques vêtements. Les uniformes aux couleurs éclatantes, les dolmans bordés de fourrure, les casques à panaches, les aigrettes, les épées répondent à l’éclat des toilettes, des rivières de diamants et des bijoux des femmes. Lentement, dans sa robe de satin blanc, Élisabeth s’avance au son des trompettes et des tambours.
Le cardinal Rauscher donne le diapason : « Du lac de Constance aux frontières de Siebenbürger, du Pô aux rives de la Wachsel, trente-huit millions d’êtres pleins d’espoir Vous saluent... Soyez l’un à l’autre comme deux réfugiés dans une île paisible au milieu des tempêtes, une île où croissent les violettes et les roses. » Le couple impérial est d’une rare beauté. Plus grave encore qu’à l’arrivée, la jeune épousée quitte l’église au son des trompettes et des timbales, précédée des pages et des dignitaires, au milieu du fier cortège flanqué des hallebardiers de la garde du corps.
Lorsque François-Joseph et Élisabeth apparaissent sur le perron des Augustins, la clameur populaire les porte comme une houle. Ils gagnent la salle des cérémonies pour y recevoir l’hommage et les félicitations des corps constitués. Un huissier annonce : « Sa Majesté l’impératrice d’Autriche ! » Dehors, on chante et on danse dans les rues, mais de cette gaieté, rien ne pénètre dans la Hofburg où, près de deux heures durant, Élisabeth doit rester assise sur un trône à dossier droit, une main posée sur un
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