L'Impératrice indomptée
dans la solitude de son Île des Roses.
Élisabeth partage la réprobation générale. De Schönbrunn, elle écrit à sa mère : « Vous pouvez imaginer combien je suis fâchée contre le roi. L’empereur n’est pas moins mécontent. Il n’y a pas de mots pour qualifier cette façon d’agir. Après ce qui s’est passé, je conçois mal comment le roi pourrait se montrer de nouveau à Munich. »
C’est finalement pendant l’été 1868 que toute la famille, y compris l’empereur, se trouve réunie à Possenhofen, pour célébrer les nouvelles fiançailles de Sophie avec Ferdinand d’Orléans, duc d’Alençon. Le jeune élu, un beau garçon blond et barbu, est aussi bien de sa personne, quoique d’aspect moins romantique que le roi Louis ; et tout le regret qu’éprouve la vieille duchesse Ludovica de ne pas voir sa fille régner sur la Bavière n’empêche pas qu’un prince d’Orléans est un parti fort appréciable pour une fille qui a déjà plus de vingt ans. La présence de l’impératrice sur les rives du lac de Starnberg est l’occasion, pour le clan, de se réconcilier avec le roi, lequel sera toujours prêt à encenser « la plus enchanteresse des cousines ».
Pour oublier tous ces drames et complications familiales, dès qu’elle a un instant de répit, Élisabeth travaille la langue hongroise, lit les oeuvres d’auteurs magyars. Une nouvelle tragique la bouleverse soudain : Mathilde, fille de l’archiduc Albert, âgée de vingt ans, a mis le feu à sa robe ; elle a été brûlée vive en voulant cacher à son père la cigarette qu’elle fumait. De nouveau, s’invite dans la destinée de Sissi la mort brutale et cruelle.
Bien qu’enceinte, celle-ci se doit d’apparaître à la rencontre du 18 août 1867, organisée à Salzbourg par le prince de Metternich, entre Napoléon III et l’empereur François-Joseph. Elle permet aux deux impératrices – réputées être les deux plus belles femmes de leur temps – de capter toute l’attention. Chacun se sent tenu de juger laquelle est la plus belle. Élisabeth et Eugénie, étant donné les circonstances politiques de la rencontre, ne manifestent en public aucune sorte d’amitié ou d’intimité. Les témoins admettent qu’Eugénie se comporte avec le plus grand tact et qu’elle traite Élisabeth avec déférence, sans rien abdiquer de sa propre dignité. Admirablement habillée de blanc et de la façon la plus simple, par respect pour le deuil de la cour, elle apparaît encore, à l’âge de quarante-deux ans, comme une femme aussi élégante que jolie. Sa cadette Élisabeth a franchi les trente ans et elle attend son quatrième enfant ; elle garde pourtant cet aspect éthéré qui, aux yeux des femmes elles-mêmes, la fait passer pour une créature d’un autre monde, qui rend toute rivalité inconcevable 2 .
Élisabeth, en dépit de son antipathie et de son mépris mal dissimulés pour Napoléon, restera liée avec l’impératrice Eugénie pendant toute la durée de son existence. En l’évoquant dans son journal à cette occasion, celle-ci écrira : « Élisabeth a des qualités d’esprit et d’âme plus appropriées à une Française qu’à une Allemande. »
Bientôt, elle se retire au calme pour achever les derniers mois de sa grossesse. Le 22 avril 1868, au château d’Ofen près de Budapest, en Hongrie, elle donne naissance à une petite fille, baptisée Marie-Valérie. Ce choix, à lui seul, révèle l’indépendance nouvelle d’Élisabeth à la Hofburg. Jusqu’ici, elle n’a jamais été consultée sur les prénoms de ses enfants. Aujourd’hui, la décision ne regarde qu’elle, et elle arrête celui qu’elle aime. Pour la première fois, elle goûte pleinement aux joies de la maternité. Sans une Sophie autour d’elle pour la morigéner et la conseiller, son coeur affamé peut se satisfaire librement. Elle est heureuse de tenir l’enfant dans ses bras, de la dorloter, de la nourrir, de jouer en sa compagnie. Marie-Valérie sera son enfant préféré.
Sa naissance marque une ère nouvelle dans son existence. Elle a accompli son devoir envers la nation en mettant au monde des héritiers. Elle a accompli son devoir envers François-Joseph comme épouse ; elle a enfin accompli sa mission comme ambassadrice. Gracieusement, fièrement, elle décide de quitter pour toujours la scène du gouvernement et de la politique. La principale besogne de sa vie sera désormais d’être une femme. Et
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