L’impératrice lève le masque
vous avez entendu qu’on frappait à la porte. Alors, vous n’avez pas eu d’autre choix que de vous réfugier dans la penderie.
Grillparzer s’affala sur sa chaise.
— Ce n’est pas comme cela que les choses se sont passées.
— Comment alors ?
— Moosbrugger était absent. Au moment où je suis arrivé, la propriétaire sortait tout juste de chez elle. Je lui ai demandé si je pouvais attendre dans le couloir, mais elle m’a ouvert l’appartement.
— Qu’est-ce que vous lui vouliez, à Moosbrugger ?
— Lui demander comment la jeune femme était arrivée dans la cabine de mon oncle.
— Et vous croyez qu’il vous l’aurait dit ?
— Je ne sais pas. J’espérais.
— Donc, vous avez attendu Moosbrugger.
Le sous-lieutenant fit un signe de tête.
— Oui, dans sa chambre. Quelques minutes après, j’ai entendu du bruit provenant de la cuisine. Je suis allé voir, mais ce n’était que le chat. Et au même moment, Moosbrugger est rentré. Visiblement, personne ne l’avait informé de ma présence.
Grillparzer poussa un profond soupir.
— Il n’était pas seul. D’après le bruit de pas, c’était un homme.
— Pourquoi êtes-vous resté dans la cuisine ?
— Parce que…
Son regard erra à travers la pièce comme s’il cherchait quelque chose sur les murs. Puis il avoua : — Parce que je pensais que c’était le colonel Pergen.
— Était-ce lui ?
Il haussa les épaules.
— Je ne sais pas. Je n’arrivais pas à comprendre ce qui se disait dans la chambre.
— Et que s’est-il passé ?
— Au bout de cinq minutes environ, j’ai entendu un cri et un bruit de chute. Puis des pas qui s’éloignaient dans le couloir.
Le sous-lieutenant lissait la manche froissée de son manteau comme si elle était recouverte de feuilles d’or.
— J’ai attendu quelques minutes avant d’entrer dans la chambre.
— Et alors ?
— Moosbrugger était allongé sur le dos, mort. J’allais m’enfuir, mais au même instant, la porte de l’immeuble s’est à nouveau ouverte. Je me suis donc caché. Un peu plus tard, j’ai entendu la propriétaire qui entrait et appelait par deux fois. Puis après un long silence, il y eut plusieurs personnes dans l’appartement. Je ne pouvais quitter la maison sans être vu.
— Et pourquoi pensiez-vous que l’homme qui accompagnait Moosbrugger était le colonel Pergen ?
— Il aurait pu lui rendre visite à cause des documents disparus…
— Le conseiller vous avait-il parlé de ces papiers ?
— Il m’a juste dit qu’ils concernaient les activités de Pergen à l’époque où il était juge militaire et que le colonel était corrompu.
— Il n’a pas parlé d’un attentat visant l’impératrice ?
— Non. Mais sans doute avez-vous déjà appris cela par Ballani.
Tron se put cacher sa surprise.
— Comment savez-vous que j’ai rencontré Ballani ?
— Par Pergen. Votre visite ne lui a pas plu du tout.
— Ballani ne m’a pas confié que cela.
— Il a sans doute prétendu que c’était moi qui avais tué mon oncle ?
— Oui, sur ordre de Pergen. Pour mettre la main sur les documents. En outre, vous auriez eu une raison personnelle. Le conseiller était un homme fortuné et vous seriez son seul héritier.
Grillparzer sourit, fatigué.
— Mon oncle n’était pas riche, commissaire. Il vivait de son traitement et du revenu de quelques placements. L’essentiel de cet argent était de toute façon destiné à Ballani, qu’il n’avait pas les moyens de se payer en réalité. La fortune de mon oncle est une légende que j’ai lancée pour qu’on me prête de l’argent.
Il se tut. Après un moment de réflexion, il reprit : — Je ne sais pas qui a tiré. Mais en tout cas, mon oncle n’a pas été tué par balles.
— J’avoue que je ne vous suis pas.
Les sourcils de Grillparzer frémirent. Il parlait maintenant sur un ton plus vif qu’au début de l’interrogatoire – comme un joueur, pensa Tron, qui a compris que ses cartes ne sont pas si mauvaises qu’il croyait.
— Parce que vous n’avez pas lu le rapport d’autopsie, commissaire. Je ne l’ai pas fait non plus, mais je sais ce qui doit être écrit dedans.
Il fit une nouvelle pause avant d’abattre une autre carte : — Mon oncle était déjà mort quand on a lui tiré dessus. Il est décédé d’une crise cardiaque. Nous nous étions donné rendez-vous dans sa cabine vers une heure et demie. Son cœur a cessé de battre avant le début de la
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