l'incendie de Rome

demandes-tu cela ?
    — Parce que c’est le meilleur chanteur de l’Empire.
    — Le meilleur après toi. Si tu fais ce que je te dis, je te promets la victoire…
    La plaque de plomb arriva, portée par deux soldats. L’empereur s’allongea de la manière que lui disait Terpnus et, à son signal, commença ses exercices… Sa voix emplit la pièce, pourtant immense. Gemellus ressentit quelque émotion. Ainsi donc, il était le premier des Romains à entendre la fameuse voix impériale ! Comme lorsqu’il s’était agi de poésie, il était bien en peine de juger, n’étant pas un spécialiste. Mais une chose était certaine : l’organe vocal de Néron était impressionnant ; lui-même aurait été incapable de produire un tel volume sonore. Pour l’harmonie, c’était autre chose. Il lui semblait qu’il y avait encore des progrès à faire.
    Néron continua pendant un long moment à développer ses vocalises, démontrant qu’il possédait aussi un souffle étonnant, puis il s’arrêta, épuisé. Toujours allongé, avec sa plaque de plomb sur la poitrine, il se tourna vers Lucius.
    — Alors, que pense le peuple de Rome ?
    Terpnus fit la grimace en constatant que ce n’était pas à lui que l’empereur demandait son avis. Lucius s’en aperçut et décida de se montrer diplomate. Il ne fallait pas se faire de lui un ennemi. Pour cela, le mieux était de dire la vérité :
    — Le peuple pense qu’Apollon t’a donné une voix divine, mais qu’il te faut améliorer ta technique. Et c’est bien pour cela que Terpnus est à tes côtés.
    Ce dernier adressa un sourire amical à Lucius.
    — Le peuple a parfaitement raison. Mais, encore une fois, je me fais fort de te donner la technique qui te manque. Maintenant, tu peux te relever.
    Néron obéit. Les remarques de Lucius et de Terpnus l’avaient visiblement inquiété. Tout en retirant sa plaque, il demanda au professeur :
    — C’est qu’il reste un peu plus de deux mois. Penses-tu que ce sera suffisant ?
    — Largement, ne t’inquiète pas. Maintenant, passons au chant proprement dit… Tu m’as parlé de « La fureur d’Hercule » ?
    — Je l’ai répété plusieurs fois. Je le sais par cœur.
    — C’est un excellent morceau, mais il doit s’interpréter enchaîné. C’est ce qui sera exigé au concours. Je te conseille de t’entraîner à le chanter dès maintenant dans ces conditions.
    Toujours aussi docile, l’empereur appela les gardes, leur demandant de revenir avec des chaînes. Un peu étonnés, ceux-ci s’exécutèrent. Lorsqu’ils revinrent et qu’ils virent que Terpnus entreprenait d’enchaîner l’empereur, ils sortirent leurs glaives. Néron leur cria juste à temps d’arrêter, sinon le malheureux professeur de chant aurait été abattu sur place. Il injuria les soldats, leur ordonnant de sortir et de ne revenir sous aucun prétexte.
    Un peu tremblant, Terpnus se remit à la tâche et, lorsqu’il eut terminé, l’empereur put de nouveau se faire entendre. Comme lorsqu’il faisait des vocalises, Lucius trouva que sa voix était effectivement puissante, mais manquait d’harmonie. À la fin du morceau, il le lui dit franchement et Terpnus abonda dans le même sens. Encore une fois, l’empereur parut très affecté par ces critiques. Mais il essaya de faire bonne contenance.
    — Peut-être que dans un autre morceau, je serai meilleur. J’ai aussi travaillé « Canacé accouchant ». Qu’en penses-tu, Terpnus ?
    — C’est une bonne idée, mais tu dois aussi l’interpréter en situation, c’est-à-dire dans la position d’une parturiente.
    Néron s’assit donc, écarta les jambes et prit une grande inspiration… Pour donner satisfaction à son auditoire, il voulut se surpasser. Il força sa voix déjà naturellement tonitruante et se mit à pousser des cris perçants. De nouveau, malgré l’interdiction, les gardes se précipitèrent. Découvrant le spectacle, ils demandèrent, affolés, si l’empereur était malade. Mais Terpnus leur répondit sans s’émouvoir :
    — Non, il accouche.

5
« L’amour est le plus grand »
    Néron n’avait provisoirement plus de voix. Il faut dire qu’il avait tout fait pour cela ! Au lieu de l’heure de vocalises par jour que lui avait prescrite Terpnus, il en faisait deux et, le reste du temps, il le passait à travailler ses airs pour le