l'incendie de Rome
concours. Au grand désespoir de la cour et des siens, à commencer par Poppée, il n’apparaissait que brièvement aux repas, se contentant d’absorber un plat d’oignons à l’huile avec de l’eau, et il repartait s’enfermer dans son bureau pour continuer à s’entraîner.
Lucius Gemellus était présent à ses côtés pendant tout ce temps et devait répondre aux questions anxieuses de l’empereur sur ses progrès. Quelquefois, ce dernier le chargeait même de tenir une torche près de son visage pendant qu’il chantait. Terpnus était là aussi et il avait beau tenter de modérer son élève, rien n’y faisait. Jusqu’au jour où Néron se réveilla le matin affreusement enroué. Cette fois, le professeur de chant intervint vigoureusement. Il lui ordonna de s’arrêter jusqu’à nouvel ordre. S’il continuait ainsi, il allait casser sa voix, et non seulement il ne serait plus question de concours, mais il ne pourrait plus chanter du tout.
Inutile de dire que l’empereur obéit, ce qui, pour Lucius, représenta une véritable délivrance. D’autant plus que l’événement se produisit juste une semaine, pour parler comme les juifs et les chrétiens, après son passage à la synagogue. C’était le lendemain que Paul avait donné rendez-vous aux craignant-Dieu. Il allait pouvoir s’y rendre.
Lorsque le matin arriva, Lucius se rendit à pied du palais impérial à la via Nomentana, au nord de Rome. Tout naturellement, pendant ce long trajet, il ne put s’empêcher de faire le parallèle avec la situation qui était la sienne lorsqu’il avait parcouru les rues de la ville, huit jours plus tôt. Combien, en si peu de temps, sa vie avait changé ! Cette situation de favori de l’empereur, dont il n’avait pas mesuré au début toutes les conséquences, était évidemment le plus grand bouleversement. Mais on ne pouvait pas dire qu’il s’en réjouissait ! Il n’appréciait pas d’être ainsi exposé aux yeux de la cour. D’abord, c’était dangereux, il suscitait les jalousies, voire les haines, ensuite, il était confronté à tout ce qu’il y avait de plus déplaisant chez les individus : les faux sourires, les flatteries, les mensonges intéressés, les arrière-pensées de toute nature. En fait, dans ce rôle qui venait de lui échoir de la manière la plus inattendue, il n’avait qu’un motif d’agrément : Néron lui-même. Mais ce n’était pas la fierté de partager la vie du premier des Romains, c’était le personnage lui-même qui lui plaisait. Il découvrait, dans cet homme qu’il voyait jusque-là comme une statue vivante, un étonnant mélange de faiblesse et de force, d’enthousiasme et de doute, de tendresse et de brutalité. Néron, peu à peu, faisait place à Lucius Domitius Ahenobarbus, une sorte de frère jumeau, très différent de lui, mais d’autant plus attachant.
L’autre changement dans son existence, pour être moins spectaculaire, n’était pas moins important. Quelque chose s’était passé, le samedi, sous le grand figuier. Les paroles de Paul l’avaient profondément touché. C’était même à un tel point qu’il lui était arrivé de les réentendre, tandis que l’empereur faisait ses vocalises ou interprétait ses airs.
L’exigence d’amour était la plus impressionnante. Jusqu’ici, il avait aimé ses parents, Marcia, et il aurait aimé son fils, s’il avait vécu. Mais comment pouvait-on aimer des gens qui ne vous étaient rien, voire qui vous inspiraient de l’antipathie ? Il y avait là quelque chose à la fois de déroutant et de fascinant. L’espérance d’un salut l’avait également troublé. Elle donnait un sens à l’existence et, sans la faire disparaître, atténuait considérablement la douleur de perdre un être cher. Mais c’était précisément pour cela qu’il avait du mal à y croire. C’était trop beau, il fallait qu’il y réfléchisse davantage. Il n’en restait pas moins que la religion des chrétiens, tout comme celle des juifs, lui inspirait un profond respect. Et il ne pouvait pas en dire autant de la religion romaine ! Il partageait, sur ce point, l’opinion de Pétrone. Comment des dieux pouvaient-ils se soucier des éternuements ou des aboiements ? Comment pouvaient-ils demander qu’on leur sacrifie des vaches enceintes et qu’on brûle leurs embryons ? De telles divinités
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