l'incendie de Rome
égout de la ville, près duquel il était construit et sur lequel il veillait. À Rome, la déesse de l’amour était la protectrice des égouts, mais personne ne s’en étonnait, tant les incongruités de ce genre étaient nombreuses dans la religion officielle.
Délia grimpa d’un pas alerte l’escalier de son immeuble ; pourtant, c’était au sixième étage que se situait son petit logement. En entrant, Lucius découvrit un intérieur modeste, mais décoré avec goût. Il y avait, en particulier, une profusion de fleurs. Elle lui expliqua qu’elle vendait ses galettes à côté d’une fleuriste ambulante et qu’en partant, elles s’échangeaient ce qui leur restait de leur marchandise. Puis elle conduisit Lucius sur le balcon. Elle semblait ravie de lui faire les honneurs de son logis. Elle était redevenue pleine de gaieté et de vie. On ne sentait plus rien, tant de la ferveur qui avait été la sienne au cours du repas, que des craintes qu’elle avait exprimées ensuite… Si la maison était fleurie, le balcon, de grandes dimensions, presque de la taille d’une pièce, était une véritable splendeur florale. Loin en bas, parvenaient, assourdis, les cris et la rumeur de Rome. Elle lui désigna un fourneau sur lequel étaient entassées les galettes soigneusement alignées.
— Je les ai préparées avant de partir. Il n’y a plus qu’à les cuire.
Elle s’occupa d’allumer le fourneau. De la fumée ne tarda pas à s’élever. Elle eut un petit rire.
— Normalement, c’est interdit dans l’immeuble, à cause des incendies. Mais tout le monde le fait. Comment est-ce qu’on vivrait, sinon ?
En attendant que les galettes cuisent, ils se remirent à causer. Délia demanda à Lucius de lui parler de son commerce à lui. Comment vendait-il son huile avec ses parents ? Lucius lui répondit en évoquant des souvenirs déjà anciens. Il raconta son enfance à l’ombre du Circus Maximus, lui décrivit le couple Gemellus, célèbre dans tout le quartier pour sa faconde et sa bonne humeur… Il était au milieu de son récit, lorsqu’on frappa avec violence à la porte. Ce fut si soudain que Délia tressaillit des pieds à la tête. Elle était toute blanche.
— C’est lui ! Je suis sûre que c’est lui !
— Ne bouge pas !
Lucius se précipita et ouvrit brusquement la porte, mais il n’y avait personne. Il courut à l’escalier et ne vit rien non plus. Il descendit les marches quatre à quatre, espérant retrouver l’inconnu, mais il arriva au rez-de-chaussée sans l’avoir rencontré. Il semblait s’être volatilisé. Il ne lui restait plus qu’à remonter pour tenter de rassurer Délia, mais ce ne serait pas facile : il trouvait lui-même que la situation devenait franchement inquiétante. Effectivement, la jeune femme était encore toute tremblante et il eut bien du mal à trouver des mots apaisants, tandis que cuisaient les galettes.
Ils descendirent avec leur marchandise, à la tombée de la nuit. Délia s’installa à son emplacement habituel, non loin du temple de Vénus Cloacine. Ils n’eurent pas longtemps à attendre. Le dernier rayon du soleil avait à peine disparu que les chars firent leur entrée dans la ville. Ils avaient beau y être habitués tous les deux, c’était à chaque fois aussi impressionnant. Cela commençait par un bruit sourd qui provenait de la périphérie et se rapprochait rapidement. Peu à peu, le sol se mettait à trembler. Puis les sons devenaient plus nets. Au grondement indistinct du début, succédaient le frottement des roues sur les dalles, le grincement des essieux, le cliquetis des sabots, les cris des équipages. Et tout à coup, ils arrivaient ! Ils surgissaient comme une mer qui a rompu ses digues et c’était, dès lors, un vacarme insupportable… Tel était le quotidien des Romains. Ils payaient la relative facilité de circuler dans la journée par des nuits constantes d’insomnie. Mais, de l’avis général, c’était quand même la seule solution et chacun prenait son mal en patience.
Les chariots de toutes sortes avaient pris possession de Rome. Au milieu de ce déferlement, Lucius pouvait voir Délia faire preuve d’une aisance étonnante. Elle se faufilait entre les lourds véhicules, manquant de se faire écraser et proposait sa marchandise aux uns et aux autres avec de grands sourires et de joyeuses
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